ENTREVUE avec Guy Simard, par Béatrice Germain (Création et Production, 2023)

BIOGRAPHIE

Heather Redfern - remise du prix Gascon-Thomas 2023
Heather Redfern - remise du prix Gascon-Thomas 2023

Le parcours artistique et professionnel de Guy Simard (Création et production, 1975) foisonne d’expériences et de projets au théâtre, en danse, à l’opéra, au cirque, en architecture, en scénographie et en enseignement. Impliqué dans plusieurs centaines de productions à titre de concepteur d’éclairage, directeur technique, régisseur, directeur de production ou consultant technique, il a acquis une solide notoriété au Québec, au Canada et un peu partout dans le monde.  

À Montréal, ses collaborations pour plusieurs compagnies théâtrales lui ont permis de récolter trois Masques et une dizaine de nominations de l’Académie québécoise du théâtre. Il a également reçu, en 1996, le Prix de la Fondation Jean-Paul Mousseau pour le caractère innovateur, la constante recherche et la grande qualité de l'ensemble de son travail artistique. 

Pour l’opéra, à l’international tant aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Australie, une trentaine d’institutions de prestige apprécient depuis de nombreuses années ses compétences et sa vision artistique.  

Parallèlement à son travail artistique et technique, il a toujours fait une place à l’enseignement et à la formation, offrant notamment des cours et des ateliers à l’École nationale de théâtre du Canada, à l’Institut Supérieur des Techniques du Spectacle d’Avignon. 

Guy Simard est également un des membres fondateurs de Trizart Consultations, une entreprise qui offre des conseils en design et en consultation pour l’aménagement et la réhabilitation de lieux de spectacles ou publics (Espace Go, Monument National et Capitole de Québec, La licorne). 

DISCOURS

Voici le discours de Guy Simard lors de la cérémonie de remise des prix Gascon-Thomas, le 17 mars 2023.

Je remercie Le Conseil des gouverneurs d’avoir eu l’idée de créer ce prix, ainsi que les membres du personnel et du jury qui ont décidé de m’accorder cet honneur. 

Je suis très touché et honoré de faire partie de ce groupe sélect de gens passionnés de théâtre. 

Pour avoir travaillé avec plusieurs d’entre eux dont, André Brassard, Jean Louis Millette, Paul Buissonneau, Janine Sutto et Jean Pierre Ronfard, je peux vous dire que tous étaient des gens généreux. Ils n’ont jamais ménagé leurs efforts ni compté les heures de travail pour faire avancer et amener à terme un spectacle. Le travail se faisait dans le plus grand respect. Ils ont tous, à leur façon, tracé la voie et j’ai énormément appris auprès d’eux. 

La Grande Aventure 

Le 4 septembre 1973 à 9 h30, je mettais les pieds pour la première fois sur cette scène pour entreprendre La semaine de pratique au théâtre. 

Nous étions un groupe de 8 étudiants à débuter notre première année à la Section technique française. C’était le début de cette aventure qui a duré 2 ans. 

À cette époque, José Descombes, suisse d’origine, dirigeait la section et exigeait de nous discipline, rigueur et une ponctualité exemplaire.  Normal pour un Suisse! 

Techniquement, nous étions encadrés par Freedy Grimwood, un Britannique qui assumait la direction technique du Monument National avec qui j’ai eu de passionnantes discussions dans son bureau autour d’un verre de vin. D’ailleurs, il m’a transmis sa passion et l’amour du vin! 

Je ne peux passer sous silence le travail de Stanly Wegging, chef de l’atelier de décors, Léo Poulin, notre fantôme du Monument National. Il en était le concierge et habitait tout près de la scène où se trouve maintenant la cafeteria. Il était toujours prêt à nous aider de jour comme de nuit. 
Michael Eagan, professeur de dessin technique qui parlait français avec son accent d’Anglo du sud du Nouveau Brunswick, un amoureux de Patsy Galant, la reine du disco de l’époque, dont il dessinait les décors de ses spectacles.   
Jean-Claude Germain, pour, bien sûr, l’histoire du théâtre québécois. Il pouvait parler pendant des heures, que dis-je des jours, sans s’arrêter. 
Jacques Languirand nous entretenait sur les nouvelles technologies de l’époque qui avaient été développées pour l’Exposition universelle de 1967, c’est-à-dire la projection diapo et les films 16mm, l’audiovisuel et les mouvements de décors mécanisés.  

Nous étions en contact très étroit avec la section Interprétation qui était sous la direction artistique d’André Pagé qui venait du monde de la télé, émission pour enfants. Son équipe était composée d’artistes jeunes et dynamiques dont Michele Rossignol, Roger Blay à la mise en scène et à l’interprétation, le poète Michel Garneau, et le musicien André Angelini. 

Et pour finir le grand concepteur de costumes, François Barbeau, responsable de la scénographie.
Bref nous étions entre bonne mains. 

Les cours d’éclairage nous étaient donnés sous forme de conférence et d’atelier par Francis Reid, un éclairagiste britannique, enseignant à Londres, auteur de plusieurs livres sur l’éclairage et responsable des éclairages du prestigieux Festival d’Opéra de Glyndebourne. 
Avec lui, j’ai appris comment doit se comporter un éclairagiste c’est-à-dire avec discrétion, philosophie et humour. Il m’a aussi initié à la fréquentation des Pub londoniens pour ses Fish and chips et ses bières. 

Et le 9 mai 1975, sur cette même scène, accompagné de Charles Maher, Louise Lemieux et Pierrette Amiot, nous recevions notre diplôme 

Les années d’enseignement 

Au départ, comme formateur, j’ai donné essentiellement des cours techniques.  

Il n’y avait pas, à cette époque, de concepteur lumière. La plupart du temps, le chef électricien, sous la gouverne du metteur en scène ou du scénographe, ajustait les lumières pour obtenir les effets demandés par ces derniers. 

Vers la fin des années 1970, je fus appelé pour donner une formation aux étudiants de production qui devaient utiliser la console d’éclairage pour le grand plateau du Monument National. A l’époque, le système d’éclairage assez rudimentaire était composé d’une quarantaine de gradateurs et d’une console à 2 préparations. 

Au début des années 80, on me demande de créer un cours d’électricité adapté la scène. 

Un cours très technique que l’on peut résumer ainsi ‘’ De la centrale hydroélectrique à la prise de courant chez vous’’ en passant par les principaux branchements et circuits utilisés au théâtre. 

À la même période, en tant que directeur technique à la Compagnie Jean Duceppe, j’avais remarqué que les plans des éclairagistes différaient considérablement. Les symboles utilisés et l’organisation visuelle des plans variaient d’un éclairagiste à l’autre ce qui causait souvent la confusion chez les chefs électriciens qui devaient déchiffrer les divers codes. Cela créait plusieurs erreurs d’interprétation et causait souvent des retards lors des semaines de montage. Travaillant aussi à l’extérieur du Québec, j’ai appris qu’il existait des standards Nord-Américain que tous les éclairagistes américains utilisaient pour le dessin des plans d’éclairage. 

Tous leurs plans étaient dessinés conformément à ces standards soit ceux du USITT. J’ai donc proposé à l’École de mettre sur pied un cours appelé Standards graphiques afin que les plans d’éclairage correspondent à ces normes. 

Au milieu des années 80, je suis devenu directeur technique et éclairagiste résident de l’Opéra de Montréal. Ce fut l’occasion de recevoir et d’assister de grands éclairagistes américains. 

Ceux-ci utilisaient un nouveau logiciel de base de données créé par l’éclairagiste John McKernon qui travaillait régulièrement sur Broadway. Ce logiciel appelé LtWright permettait de compiler et de générer des informations détaillées pour tous les projecteurs dessinés sur les plans, de tenir un inventaire des projecteurs circuits et numéros de contrôle utilisés pour le spectacle. Il permettait aussi d’évaluer rapidement les divers besoins en couleur de gélatines, en appareils d’éclairage et en circuits nécessaires pour réaliser le plan et d’en faire le suivi tout au long du montage. Une vraie révolution. Je me suis mis à utiliser ces logiciels et j’ai ensuite proposé à l’École une formation qui est devenue le cours de LtWright.  

Puis, vers le début des années 90, afin d’aider les étudiants de 3e année à réaliser des conceptions et de dessiner des plans d’éclairage pour les créations ayant lieu sur des grands plateaux, on m’a demandé de concevoir une formation visant la conception de plans d’éclairage destinés à ces lieux. 

Je savais qu’il existait des centaines de livres sur l’éclairage de scène, la majorité étant soit américain ou britannique. 

Ces livres ont tous la même structure et ils développent tous, plus ou moins, toujours les mêmes thèmes. Soit l’historique des moyens utilisés pour éclairer les spectacles de l’Antiquité à l’Ère moderne des années 1980, en passant par la chandelle, la lampe à l’huile, le gaz et enfin l’électricité. Ensuite des chapitres sur les lampes et l’optique afin d’en comprendre la puissance et les lentilles à utiliser, comment positionner les appareils et quels systèmes et quelles règles de bases sont pertinentes pour obtenir un éclairage constant, égal et sans trous. Même chose pour ce qui a trait aux couleurs afin d’obtenir les atmosphères recherchés. 

Mais tout cela énoncé de façon mathématique et technique.  

Très peu de ces livres parlent de la qualité de la lumière, des atmosphères crées et de la dramaturgie de la lumière. La majorité de ces livres donnent des recettes pour réussir son éclairage et plus la réputation de l’auteur est grande, plus le livre aura bonne réputation.  

On peut faire un parallèle avec les livres de recettes de cuisine. Le succès du livre tient à la réputation du chef qui le signe. 

Pour structurer ce cours, je me suis demandé : que dois-je transmettre et comment dois-je le faire. Intuitivement, je voulais transmettre ce que j’avais appris et qui n’était pas dans les livres. Comment concevoir et utiliser la lumière pour en faire un élément de contribution unique, pertinent et important au spectacle. 

Pendant ma réflexion, j’ai reçu une demande d’un metteur en scène. Il me proposait de former un groupe avec ses collègues pour que je leur donne un cours sur les techniques d’éclairage.  

Leur volonté était d’apprendre les règles de base en éclairage, de connaître les différents types de projecteurs, les couleurs de gélatine à utiliser ou mettre les projecteurs bref … comment dialoguer et communiquer avec les éclairagistes en langage technique. 

J’ai trouvé cette demande particulière : apprendre la technique pour obtenir un résultat artistique. Je fus rapidement convaincu que ce n’était pas la bonne voie à suivre. 

C’est à ce moment que l’idée de créer un atelier de création-lumière destiné aux étudiants, ces potentiels futurs éclairagistes, de la section Production est apparue. Un atelier spécifique de 3 jours qui, au début de l’atelier, résumait rapidement ce qui était enseigné dans les livres. 

Pour structurer mes cours, je me suis demandé, encore une fois : que dois-je transmettre et comment dois-je le faire. Intuitivement, j’ai voulu transmettre ce qui n’était pas écrit dans les livres, mais transmettre les bases de la création lumière.  

Cet atelier était suivi d’un autre atelier d’une semaine entièrement consacré à la création afin de donner aux étudiants les bases avec lesquelles ils pourront exprimer leurs idées et visions artistiques et être en mesure d’échanger avec les autres créateurs et les metteurs en scène. Les participants à cet atelier était guidé par un concepteur d’éclairage, un metteur en scène chargé de susciter des échanges et de transmettre aux acteurs la vision artistique du projet. 

Je suis parti du principe ‘’Une Image vaut milles mots’’ afin de créer, avec les autres collaborateurs, un début de discussion à partir des représentations visuelles qui illustrent une vision de l’espace, l’ambiance recherchée, l’état d’esprit des personnages et ainsi amorcer les discussions sur un plan strictement artistique. 

En résumé, la plus grande partie du cours était basée sur les visions artistiques des étudiants et sur comment contourner les règles, par des essais et erreurs, pour réaliser tout le potentiel qu’offre la lumière. 

 Je suis très reconnaissant, qu’au cours des décennies, les différentes directions ont su trouver les budgets, les locaux et les périodes-horaires pour permettre à toutes ces formations d’exister.  

Un gros merci à Pierre Phaneuf, Michel Gosselin, Louise Roussel et Catherine La Frenière, 

Continuité dans la formation 

Je suis très heureux qu’actuellement la formation en éclairage soit assurée par une formidable équipe qui est composée de : 

Martin Labrecque et Alexia Burger, Laboratoire conceptuel d’éclairage,
Nicolas Descoteaux, Atelier d’éclairage – Photométrie et colorimétrie,
Saturnin Goyer Initiation à la console d’éclairage ION-ETC,
Chantal Labonté, Initiation aux techniques d'éclairage,
Zacharie Filteau, Initiation à la console d’éclairage Grand Ma,
Anne-Catherine Simard-Deraspe, Standards graphiques et Électricité Logiciel Vectorworks