Gil Desautels, Gilles Renaud, Valérie et Gideon Arthurs au Gascon-Thomas


Merci aux gouverneurs et à la direction de l’École pour cet immense honneur.


Je suis associé à l’École nationale depuis 55 ans. Tout d’abord comme élève, où j’ai vécu ce que je considère comme les plus belles années de ma vie. En 1964, l’École était située sur la rue Saint-Laurent, au coin de Saint-Paul. Je me souviens du premier matin : j’étais assis dans l’autobus Saint-Laurent (le métro est arrivé un an plus tard). On devait se présenter à notre premier cours avec l’oeuvre complète de Molière dans la collection Garnier. Assise en face de moi, une jeune fille tenait à la main les mêmes deux livres que moi. Je lui ai fait un sourire, lui ai montré mes livres et on est partis à rire. C’était Odette Gagnon. Elle allait être ma meilleure amie pendant des années.

Gilles Renaud (Interprétation, 1967) et Odette Gagnon (Interprétation, 1967) dans Le mariage de M. Mississippi de Bernard Parmegiani, décembre 1966

Les trois années qui ont suivi ont été pour moi d’une importance capitale. J’y ai découvert le jeune artiste qui venait à peine de se réveiller en moi. J’étais passionné par tout ce que j’apprenais. Je n’en avais jamais assez! Me croirez-vous si je vous disais que je n’ai jamais manqué une seule journée de classe pendant ces trois années? Pendant mon passage à l’École, j’ai rencontré quelques-unes des personnes qui allaient influencer ma vie artistique pour toujours : Jean-Pierre Ronfard, Marcel Sabourin, Paul Hébert, André Pagé et Powys Thomas.

 

 

"On a tous un jour rêvé de faire partie du milieu artistique. Nous, à l’École, nous avons eu la très grande chance d’y parvenir"

 

 

Pendant notre passage à l’École, on fréquente cinq cohortes : les deux cohortes avant nous, la nôtre et les deux qui nous suivent. C’est notre génération artistique. Toute notre vie artistique, nous rencontrerons ces gens-là. Nous travaillerons avec ces gens-là. Ils sont sans aucun doute la plus importante influence – avec certains professeurs – que nous rencontrerons dans notre vie. Moi, j’ai été influencé à l’École par Sophie Clément, Nicole LeBlanc, Michel Catudal, Robert Charlebois, Mouffe, Odette Gagnon, Réal Ouellette, Jean-Yves Laforce, Jean-Roch Achard, Jean-Claude L’Espérance, Véronique Le Flaguais, Yves Sauvageau, Michael Eagan, Guy Neveu, Claude Deslandes, Paule Baillargeon, Gilbert Sicotte et Pierre Curzi. Je continue encore aujourd’hui, 55 ans plus tard, à travailler avec plusieurs de ces acteurs talentueux. Nous, les gens de théâtre, nous sommes des privilégiés. Je ne connais pas une seule personne qui n’ait pas souhaité, enfant, devenir un jour un acteur ou une actrice, écrire du théâtre, faire des mises en scène ou créer des décors ou des éclairages. On a tous un jour rêvé de faire partie du milieu artistique. Nous, à l’École, nous avons eu la très grande chance d’y parvenir.

Gilles Renaud en tant que directeur des programmes d'interprétation et d'écriture dramatique


Il faut donc redonner. Après quelques années, je suis donc revenu à l’École pour enseigner. Et là, j’ai eu la piqûre. J’ai beaucoup enseigné. Longtemps. J’ai même dirigé le programme français d’interprétation et d’écriture. Et j’ai revécu la même passion que j’avais connue 25 ans plus tôt grâce encore aux personnes qui m’entouraient. Je crois que c’est ma plus grande qualité en tant qu’artiste et pédagogue : je sais bien m’entourer. Au tout début de ma carrière, j’ai eu l’immense chance de rencontrer deux très grands artistes avec lesquels j’ai beaucoup travaillé : Michel Tremblay et André Brassard. De Hosanna (enfin, Cuirette) en 1972 jusqu’à Bonjour, là, bonjour en 2018, j’ai eu le privilège de créer environ une dizaine de pièces de Michel Tremblay. J’ai même eu le grand honneur d’interpréter à plusieurs reprises le personnage de Jean-Marc, l’alter ego de Michel. Il n’y a pas de plus grande joie pour un acteur québécois issu du Plateau-Mont-Royal que de jouer Tremblay. Avec André Brassard, pendant 30 ans, j’ai été un de ses acteurs principaux. En plus des pièces de Tremblay, j’ai eu le très grand plaisir de jouer Shakespeare, Arthur Miller, Dario Fo, Racine, Brecht, Jean Genet, Tchekhov et tant d’autres. Travailler avec André Brassard, c’est travailler avec le metteur en scène le plus intelligent et le plus brillant qu’il m’a été donné de rencontrer.


Bientôt, les sirènes de la télévision vont chanter pour vous, chers étudiants. Ce sera très tentant et très payant. Allez-y. Faites de la télé, du doublage, de la variété, de l’humour, du cirque : tout ce qui se présente à vous. Mais, de grâce, n’abandonnez pas le théâtre. Je vous souhaite, je vous implore de poursuivre votre carrière principalement au théâtre. C’est la Source. C’est là qu’on y trouve toute l’énergie créatrice nécessaire pour continuer d’apprendre et de se renouveler. Allez au théâtre, parlez aux metteurs en scène, montez des shows avec vos amis, créez votre propre troupe… débrouillez-vous. MAIS FAITES DU THÉÂTRE. Car, comme disait Jean-Pierre Ronfard, que je considère comme mon mentor : « J’ai fait plein de choses dans ma vie pour vivre, mais j’ai fait du théâtre pour ne pas mourir. »

Merci.