ENTREVUE PARTIE 1: Choisir ses combats

Découvrez la première partie de l’entrevue « Choisir ses combats » avec Mellissa Larivière (Interprétation, 2011), récipiendaire du prix Gascon-Thomas Innovation et animé par la finissante Lydia Sherknies (Interprétation, 2021). Mellissa Larivière est autrice, metteuse en scène et co-directrice générale du festival //SAS// Laboratoire de création, et a été sélectionnée pour son incroyable engagement artistique dans la communauté montréalaise, et pour les liens, les partenariats et les groupes qu’elle a su former grâce à sa capacité à rassembler et à rendre le théâtre accessible à tous.

ENTREVUE PARTIE 2: Festival Quatre Chemins à Haïti et réflexions sur le milieu des arts



BIOGRAPHIE



Diplômée de l’ÉNT en interprétation en 2011, 
Mellissa Larivière est comédienne, mais aussi autrice, metteuse en scène, conseillère artistique, ainsi que codirectrice générale et codirectrice artistique du //SAS// Laboratoire de création. À travers ses différents projets et sa voix intègre, profondément ancrée dans le changement, Mellissa Larivière ouvre des portes aux jeunes artistes de la relève ayant soif de créer, de faire leurs premiers pas sur scène et de se bâtir un premier réseau de contacts au sein du paysage théâtral québécois.  

C’est pour son incroyable engagement artistique dans la communauté montréalaise et les initiatives qu’elle a mis en place que l’École nationale de théâtre du Canada lui remet le prix Gascon-Thomas 2021 pour l’innovation.  

Gascon-Thomas 2021 Mellissa Larivière, Yvette Nolan, Gil Desautels, Gideon Arthurs
Gascon-Thomas 2021 Mellissa Larivière, Yvette Nolan, Gil Desautels, Gideon Arthurs

DISCOURS

Voici le discours de Mellissa Larivière lors de la cérémonie de remise des prix Gascon-Thomas, le 19 mars 2021

Merci beaucoup,  

Merci Lydia pour ces beaux mots, c'est vrai que je serais au bar, au Monument-National en ce moment, à tenter de ressentir cet honneur, parce que ça me touche, et en même temps ça me rend nostalgique en ce moment. C'est sûr que pour moi l'École, ça a été super important. Ça a été un moment hyper marquant, alors je tiens à remercier le comité de sélection et l'équipe, les étudiants, les artistes, les lauréats de ce soir, mais aussi tous ceux qui s'organisent, qui lancent des initiatives hyper importantes pour le développement du milieu théâtral, depuis même avant la COVID en fait, parce qu'il y a des gens qui s'organisent, qui s'engagent, qui se responsabilisent, qui donnent un peu de leur imagination, de leur créativité et c'est sûr que pour moi, c'est vraiment touchant, car ça me ramène à cette période-là avec nostalgie et ça me ramène également à maintenant.  
 

« Je pense qu'il faut sortir de la compétition, de l'hypocrisie, du confort, puis comprendre qu'il y a plusieurs classes sociales dans le milieu artistique »  


J
e ressens depuis quelque temps de la colère et de la lucidité, parce que j'ai tellement l'impression qu'on pourrait faire tellement mieux et plus rapidementau-delà de la COVID, au-delà de la pandémie, du manque de financement, de l'écosystème aussi qu'on a créé, quelque part. On ne se parle pas assez, on n'est pas assez solidaire les uns envers les autres. Les artistes, nous sommes très critiques envers nous-mêmes, envers les autres également. J'ai l'impression, en tout cas c’est mon instinct qui parle ici, je sens qu'en ce moment il y a une urgence autour de nous. Je ne suis pas la porte-parole de cette urgence, mais je l'entends. Il y a d'autres personnes qui l'expriment autrement. 

 Mellissa Larivière avec Mylène McKay dans Plus que Toi Alt
Mellissa Larivière avec Mylène McKay dans Plus que Toi

Ce prix, je suis honorée de le recevoir croyez-moi, mais je ne suis pas capable de le recevoir autrement que comme une question à laquelle je n'ai pas de réponse. J'ai encore plus de questions en fait. Oui j'aime le doute, peut-être. J'aime réfléchir. Bref, je vois cela comme une question, assez simple : est-ce qu'on veut encore cette innovation-là ? Est-ce qu'on veut encore de l'innovation en fait ? ou est-ce qu'on veut continuer à être témoins ou à vivre de l'insupportable ? Parce qu'il y a beaucoup de choses dans la façon dont on s’organise, dont on laisse la place à l'art, qui est quelque chose de très mystique, en fait. On tombe dans quelque chose de très bureaucratiqueOn entend parler de diversité. Chers étudiants et membres de la communauté artistique, arrêtez d'utiliser ce terme-là. Il vient tout droit de la bureaucratie, on peut bien l’accoler à une case à cocher pour une  subvention, mais on ne peut pas demander aux communautés culturelles, à la communauté LGBTQ, à d'autres communautés atteintes d’un handicap de représenter le monde et se déresponsabiliser en quelque part.  

On est tous des artistes, des créateurs. Changeons notre imaginaire collectif, je pense qu'on en est rendu là. Moi quand j'étais à l'École, il n'y avait rien qui m'attendait en sortant. J'en étais très consciente. Je ne savais même pas que l'École existait. Quand je suis rentrée à l'École, j'ai pu ressentir quelque chose que je cherchais de façon désespérée : un sentiment d'appartenance. C'est vraiment à l'École que je l'ai trouvé. Même le stage, j’ai dû le faire trois fois avant de rentrer à l'École. Je n'étais pas super bonne à cette époque-là. J'ai travaillé pour le devenir. Donc, je crois beaucoup à la nécessité d’agir, de se donner au travail et d’être à l'écoute. Il faut aussi se permettre de l'humour, quand on se prend trop au sérieux, on ne voit plus rien. Je pense qu'il faut sortir de la compétition, de l'hypocrisie, du confort, puis comprendre qu'il y a plusieurs classes sociales dans le milieu artistique et je pense qu'ensemble on peut trouver une manière d’inventer des solutions, de revendiquer des choses pour avoir de meilleures conditions de travail parce que c'est un métier.  

Mellissa Larivière - ZH Festival et Festival des Quatre Chemins
Mellissa Larivière - ZH Festival et Festival des Quatre Chemins

Au-delà de la passion, parce que oui, un moment donné, tu vis un amour avec ce métier-là, mais cela reste un métier et je pense qu'on mérite le respect peu importe le milieu où on gravite. Il y a une femme extraordinaire qui m'a enseigné en première année à l'École, un monument, une femme de théâtre : Michelle Rossignol. Elle m'avait accostée dans le couloir, moi je courais entre mes cours. Elle m'avait arrêtée et puis elle m'avait dit : « Mellissa », moi je la regardais avec l’air de dire : « quoi ? qu'est-ce qu'il y a ? je n'ai pas le temps ». Elle avait continué en disant : « Mellissa, choisis tes combats ». Elle m'avait dit ça et je ne comprenais pas ce qu'elle voulait dire. Je pensais seulement : « de quoi est-ce qu'elle me parle ? choisis tes combats ? je ne sais pas ... ». Cela m'aura pris toutes ces années-là, je pense, à comprendre ce qu'elle voulait dire. J'ai envie de vous dire la même chose. Je n'ai pas de grande vérité à partager. Je ne sais pas si je suis inspirante ou pas, mais choisissez vos combats. Peu importe le combat que vous allez mener, allez-y. Il se peut que ce soit le combat qui vous choisisse aussi. Moi, je pense que j'ai fait mon choix, c'est vraiment de soutenir la création, la rendre accessible.  

Je profite de cet espace de parole, de ce privilège, pour annoncer que LSERRE-arts vivants, le Théâtre La Chapelle Scènes Contemporaines et le //SAS// Laboratoire de création organisent les états généraux de l'émergence. Nous avons besoin d'entendre la voix de l'émergence. On est en train d’organiser l’événement, donc on va se voir très très bientôt. Je vous souhaite une belle soirée et à très bientôt.