Glyndebourne
Glyndebourne

Glyndebourne est une maison d’opéra au Royaume-Uni, connu pour ses productions de classe mondiale et son emplacement magnifique dans une maison de campagne vieille de six cents ans. À chaque année, c’est quelque 150 000 spectateurs qui assistent à ses représentations dans le cadre d'un festival d'été et d'une tournée d'automne. Cet été, nous avons eu l'immense plaisir de rencontrer le directeur technique de Glyndebourne et diplômé de l'ÉNT, Éric Gautron (Création et production, 2003), pour parler de sa carrière et découvrir comment ce franco-manitobain s'est retrouvé au cœur de la campagne du East Sussex.

Bonjour Éric ! 
Quel est ton rôle à Glyndebourne ? Que fait un directeur technique ? 

On me pose souvent cette question. La meilleure façon que j’ai trouvé d’y répondre, c’est de dire ceci : quand tu viens à l’opéra, tout ce qui est chanteur ou musicien et tout ce qui a lien à la musique, et bien... je n’ai rien à avoir avec ça! 
Par contre, je suis responsable de tout le reste de l’œuvre :  décor, costumes, accessoires, maquillage, perruques, tous les effets spéciaux, les lumières, vidéo, son, tout, tout. C’est à peu près ça. 

Wow ! C’est un gros travail. Quelles sont tes responsabilités plus précisément ? 

On peut diviser mon travail en quatre parties :  

1. Tout d’abord, il s’agit de produire les spectacles, donc s’assurer par exemple que la construction de décors avance. Ce n’est pas moi qui suis en contact direct avec l’atelier. Il faut savoir qu’à l’opéra et en Grande-Bretagne, il y a une inversion dans les titres de direction technique et de direction de production comparé au Canada. Nous sommes deux directeurs de production, et de mon côté je gère vraiment la direction de production, je suis plus un producteur exécutif. Ensuite, je dois m’assurer de livrer le spectacle techniquement. 

2. C’est également moi qui suis responsable de tous les contrats de l’ensemble de l’équipe créative, sauf des chanteurs et des musiciens. Cela inclus donc : les acteurs, les danseurs, les acrobates (s’il y en a), toutes les équipes techniques. 

3. Au sommet du festival, il y a 300 personnes qui travaillent dans la section technique et production ici à Glyndebourne. J’ai des chefs de département qui sont incroyables, mais rassembler les équipes pour se concentrer sur une production, relève de ma responsabilité. 

4. Puisqu’on a un bâtiment, on a un théâtre, on a des ateliers, je suis responsable de l’infrastructure de ces éléments-là.  

GlyndebourneGlyndebourne et ses magnifique jardins

Peux-tu nous décrire une journée typique ? 

C’est difficile car il n’y en a pas ! 

Pendant le festival d’été, il y a tout de même une certaine routine qui s’installe : on est en répertoire dit à l’allemande classique, donc on répète un spectacle le matin, on fait un changement de décor, de costumes et de l’ensemble de l’œuvre l’après-midi et on a un spectacle le soir devant le public. 

La nuit on a une autre équipe qui rentre et qui va faire un changement entre le décor qui est sur scène et celui dont on a besoin pour une répétition qui va commencer le lendemain matin, et ainsi de suite pendant les 4 mois du festival.      

 

Quel était ton parcours professionnel pour arriver ici ? 

J’ai fini l’École nationale de théâtre en 2003 et j’ai commencé par faire quelques projets à la pige avec Catherine La Frenière (Directrice du programme de Création et production). Ensuite, j'ai travaillé pendant trois ans au Quat’Sous comme directeur technique et directeur de production. Louise Roussel, qui travaillait pour Ex Machina à l’époque, est venue me parler du Projet Andersen, qui partait en tournée, et m’a demandé si je voulais me joindre à l’équipe d’Ex Machina, et j’y suis allé !  
J’ai travaillé assez longtemps chez Ex Machina en création sur différents projets en tournée, notamment sur des projets d’opéra avec Michel Gosselin, en tant qu’assistant. 

Après avoir travaillé sur Le fameux Ring Cycle de Robert Lepage, qu’on a livré au Metropolitan Opera de New York, on m’a offert un poste de direction technique. Et quand le Met te propose ce genre de poste, tu ne peux pas refuser ! J'y ai pendant presque cinq ans, et je suis passé du Met à Glyndebourne de façon très simple. Je suis ici à Glyndebourne depuis 2016. 

Nous allons voir la générale de A Midsummer Night’s Dream aujourd’hui. Quel était le plus gros défi dans cette production ?  

On est ici dans une maison d’opéra de répertoire, donc on a des spectacles qui tournent depuis très longtemps. Cette production de A Midsummer Night’s Dream a été produite pour la première fois ici à Glyndebourne en 1982, et c’est encore la même production aujourd’hui. Le plus grand défi c’est donc de reprendre un spectacle qu’on connait très bien, qui a été créé à une certaine époque, et de continuer à faire évoluer le spectacle pour que la magie soit encore là, tout en respectant les normes sécuritaires actuelles.  

Concrètement, on a le personnage de Puck qui est joué par un enfant acteur dans notre production. Dans la mise en scène de 1982 (qui est la même encore aujourd’hui) le personnage fait plusieurs vols aériens. Vous pouvez vous imaginer qu’entre 1982 et aujourd’hui, on ne gère plus cet effet technique de la même façon ! Le défi est donc de faire évoluer cet effet-là sans perdre la magie. De le faire de façon sécuritaire et constante. Garder la magie, est l’un des défis les plus grands et les plus intéressants.  

Comment est-ce que tes études à l’École nationale de théâtre ton amené où tu es aujourd’hui ? Qu’as-tu appris à l’ÉNT qui te sert toujours dans ton travail ? 

Tout. Tout ce que j’ai appris à l’École me sert encore aujourd’hui. C’est facile à dire, ce n’est pas de la promotion et je ne me fais pas payer pour ça, mais c’est vrai. 
L’École permet à chaque individu de se développer autant qu’il devrait ou autant qu’il le souhaite. L’École met en contact des jeunes novices avec des “vieux de la vielle”, si on peut encore dire ça. Le réseautage intense de l’École est extrêmement utile et me sert encore aujourd’hui.  Il y a de l’expérience, il y a des compétences, il y a une intelligence dans lequel on peut puiser rapidement et fréquemment.    

Une des plus belles choses que j’ai appris à l’École c’est que c’est à nous de livrer les projets, c’est à nous de les faire avancer. Peu importe la structure, peu importe la grandeur des équipes qu’on gère, ça reste à nous d’emmener la passion à ces projets-là. 

J’ai une anecdote magnifique : Je me souviens qu’on avait un projet où ça n’allait pas très bien. J’ai appelé Michel Granger (Création et production, 1993). Je vais m’en souvenir toute ma vie, je lui demande : “qu’est-ce que je dois faire, qu’est-ce que je devrais faire ?” Et Michel m’a ri en pleine face, avec son magnifique rire, pour dire : “Hah ! Mais qu’est-ce que tu vas faire ? Très bonne question.” Et il m’a raccroché au nez.  

Détrompez-vous, c’est magnifique. C’était le moment le plus important pour moi, parce que c’est à ce moment-là que j’ai compris Aha ! J'ai une responsabilité et je peux soit la prendre soit ne pas la prendre. C’est une des plus grandes leçons que j’ai apprises à l’École. D’ailleurs, ça ne s’applique pas juste à la production mais à la vie. Michel Granger, merci.  

 

Quel conseil donnerais-tu pour une jeune personne qui aimerais faire de la prod ou qui pense s’inscrire à l’École en Création et production ? 

Allez-y, faites-le. C’est un domaine extrêmement vaste et un domaine qui continue à évoluer. Il n’y a pas une seule journée qui est plate. Il y a des journées qui sont moins intéressantes que d’autres, certain, mais il y a toujours quelque-chose à apprendre, quelque-chose d’excitant. On participe à des spectacles, à des événements qui sont incroyables, qui transforment le monde, qui ont un impact sur la population. Allez-y. Il y a tellement d’opportunités.  

Je trouve que l’École est une des meilleures au monde. La réalité de travailler, de faire les choses, de prendre moins de temps dans un cours magistrale pour essayer de comprendre la théorie (qui reste un élément important), d’œuvrer, de travailler sur les prods, de comprendre ce que c’est que d’être au plateau pour un spectacle, c’est extrêmement important. On découvre tellement de nous-même et de ce qu’on aime dans ce métier-là en le faisant et en ayant la chance de le faire sans danger. On peut se tromper. D’avoir la chance de se tromper, c’est magnifique. L’École m’a permis ça et ça a encore une influence sur moi aujourd’hui. 

Image d'entête : © Glyndebourne Productions Ltd. Photo: Tristram Kenton