Depuis longtemps déjà, je nourris un intérêt pour la musique et le théâtre, et c’est pourquoi je me suis inscrit à l’École nationale de théâtre du Canada. J’y ai découvert la conception sonore, qui est pour moi la façon la plus belle d’allier mes deux champs d’intérêt. 

Au premier coup d’œil, on s’imagine que le travail de conception sonore est uniquement musical, mais je trouve qu’il s’agit avant tout d’une entrée dramaturgique qui permet à une pièce de s’inscrire dans un tout. Selon moi, le premier travail d’un concepteur sonore est de partager sa vision dramaturgique avec le metteur en scène ; ensuite, il doit imaginer les éléments sonores qui pourraient transmettre sa vision de la pièce.

Il se peut également qu’au cours du processus, le concepteur sonore en vienne à la conclusion que le silence sera la musique du spectacle. Dans ce cas, le travail du concepteur sonore est de montrer en quoi la pièce n’a pas besoin de trame musicale. Un peu comme le concepteur d’éclairage qui donne au spectacle différentes couleurs, le concepteur sonore essaie, grâce à différentes ambiances, d’habiller l’univers de la pièce de manière à le sublimer.

L’année passée, j’ai eu la chance de travailler dans la grande salle du Monument-National sur un projet intéressant autant sur le plan technique que sur le plan artistique. Il s’agissait des Trois sœurs de Tchekhov, pièce mise en scène par Florent Siaud. En abordant cette œuvre, je me suis assez vite rendu compte qu’il s’agit d’un texte dense possédant plusieurs couches dans sa construction ainsi que des ambiances qui varient sans jamais vraiment se fixer. Il était donc nécessaire, selon moi, de rendre compte de cette réalité en proposant un univers sonore éclectique ou viendraient s’entrechoquer toutes les ambiguïtés de la pensée de Tchekhov. Plus précisément, ma conception sonore s’est donc concentrée sur trois niveaux, qui se sont confrontées et se sont répondu. J’ai utilisé tout d’abord des sons pour rendre compte de la nature environnante entourant la maison des trois sœurs. Il s’agissait de sons réalistes, parfois modifiés, qui m’ont permis de plonger les acteurs dans cette demeure perdue au fin fond de la nature. Ensuite, j’ai utilisé un tourne-disque, placé sur scène, d’où émanaient différentes chansons grâce auxquelles j’ai pu exprimer la nostalgie inhérente à la pièce.

Pour compléter ces deux univers, j’ai également développé une piste musicale composée de sons lointains venant faire résonner le texte de manière discrète et intuitive. J’avais également pris la décision de jouer ces sonorités en direct afin de créer une ambiance réellement vivante qui variait d’un soir à l’autre.

En effectuant la conception sonore de cette pièce, j’ai remarqué à quel point la musique pouvait enrichir le côté sensoriel issu d’un texte. En effet, contrairement à la parole, la musique n’utilise pas une langue, elle joue donc plus avec les sensations qu’avec l’intellect. Et, contrairement aux langues, la musique est universelle. J’ai le goût, à travers mes différentes conceptions sonores, d’explorer comment la musique peut devenir un véritable acteur au sein d’une production et ne pas rester un simple accompagnement. De cette manière, il est possible de faire évoluer une pièce dans une direction voulue grâce à la musique.

Gaspard Philippe
Finissant du programme de Production (2018)