Michel Beaulieu

Un dernier hommage à un artiste phare du milieu théâtral

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Témoignages

Julie Basse, conceptrice et diplômée (Création et production, 2013)

Mai 2013, c’est ma première gig post-graduation d’école de théâtre. Assistante éclairagiste à l’opéra de Montréal, je présente le plan au chef électrique en lui spécifiant qu’il faudra installer des spots au sol, au niveau du cadre de scène.
« Oui. Des Beaulieu, ça s’appelle des Beaulieu ». Un peu trop jeune, je n’avais jamais assisté à aucun spectacle éclairé par Michel Beaulieu. On me les avait pourtant racontés.

Il est de ceux et celles qui, d'audace, de talent, et de par une sensibilité accrue ont prouvé la nécessité de la conception des éclairages dans les arts vivants, qui ont usé d’inventivité pour équiper nos salles telles qu’on les connaît aujourd’hui et ainsi défricher un grand terrain sur lequel des générations entières de concepteurs et conceptrices évoluent désormais presque paisiblement. Inutile de vous préciser que le nom de Michel a toujours été sur les lèvres de mes mentors concepteurs.trices mais aussi des chefs électriques, scénographes, technicien.enne.s et DT qui l’ont côtoyé. Même ceux et celles qui ne l’avaient pas rencontré avaient une anecdote à conter à son sujet!

En septembre dernier j’ai entamé un projet de maîtrise en théâtre, on the side à temps très partiel, avec l’ambition de faire de la recherche sur l’histoire de la conception d’éclairages au théâtre au Québec. C’est par grande évidence que Michel devenait le point zéro de cette recherche. Celui qui gardait ses trucs pour lui, qui ne voulait rien savoir d’avoir des assistant.e.s, et dont le talent et la fantaisie ont pourtant marqué des générations. J’ai pris contact avec lui à l’automne dernier. Je voulais le rencontrer, savoir s’il était prêt à me livrer un bout de son histoire. Il était à la fois surpris et touché et m’a accueillie chez lui un après-midi de janvier en répondant à toutes mes questions avec une grande générosité. Malgré mon assiduité aux cours de méthodologie de la recherche, j’ai enregistré notre rencontre sans aucune demande de certification éthique, sans plan d’entrevue, tout croche avec mon téléphone, en oubliant de repartir l’enregistreuse parfois, émue pis gênée de me retrouver là. Probablement bien moins délinquante qu’il a pu l’être au cours de sa longue et grande carrière, je transgressais les règles académiques au nom de l’urgence de collecter le témoignage du « père » comme l’appelait Robert Lepage (il en était fier!). Le temps d’un après-midi on a effleuré sa carrière de ses débuts à la salle académique du collège Sainte-Marie (l’actuel Gesù) aux derniers opéras avant sa retraite. Au cours de notre discussion, il allait régulièrement dans sa chambre « au coin fumeur » d’où il revenait avec des sacs remplis de photographies. Pendant ces pauses, je coupais l’enregistrement. Lorsqu’il revenait, il me livrait des anecdotes plus personnelles en s’assurant que l’enregistreuse était bien fermée. Et la discussion reprenait, et je repartais l'enregistrement. Il avait même classé des photos à me présenter sur son ordinateur. À la fois ému de son influence consciente et inconsciente sur les éclairagistes après lui - avec quelques petites larmes des fois - si fier (avec raison) de ses réalisations dont aucune ne se ressemblait - avec un grand sourire souvent - même à la retraite, il voulait protéger « ses trucs ». Il m’a offert cette photo prise par Yves Renaud de La nuit des rois présenté en 2003 au TNM. « Son chef-d’oeuvre! ».


Suite à cet après-midi trop court, on s’était promis de se revoir, de discuter encore. Sa porte était grande ouverte.

Je nous souhaite des Beaulieu pour tous et pour toujours, mais surtout, je te souhaite le plus doux des voyages cher Michel, et le plus grand des repos, « le père ».


De ton immense carrière, t’as fait accrocher de nombreux mottons de spots, mais jamais aussi gros que celui qu'on a en te sachant parti.

Julie Basse, Conceptrice d'éclairages (Création et production, 2013)