Un lieu où s’exprime déjà l’avenir du théâtre
Un risque peu connu du boulot à l’ÉNT : nos bureaux administratifs ne sont pas climatisés! Pour ceux parmi nous qui travaillent tout au long de l’été, le mois d’août peut sembler interminable. J’ai deux ventilateurs dans mon bureau et je trouve préférable de n’ouvrir la fenêtre qu’un tout petit peu en baissant complètement les stores. Avec les murs de pierre épais de notre bâtiment et l’absence d’étudiants et d’extrêmes urgences théâtrales, j’ai un peu l’impression de travailler dans une sombre grotte. Cette période de l’année est lente, langoureuse et ruisselante de sueur, et même si j’apprécie pouvoir réfléchir, planifier, réorganiser l’espace et diriger mon attention ailleurs, je suis vraiment excité à l’idée d’avoir enfin un peu de vie, un peu de bruit dans l’immeuble. C’est la grande rentrée, la première journée des classes à l’École nationale de théâtre. Bientôt, nos vénérables couloirs seront remplis d’étudiants qui pleurent, gémissent ou s’empoignent (le plus souvent, mais pas toujours, parce qu'ils jouent un rôle), mais aussi d’équipement qu’on soulève ou trimballe, d’échantillons de tissu et d’éclats de peinture… un branle-bas de combat qui ne cessera qu’au mois de mai. Un avantage peu connu du boulot à l’ÉNT : si on est assis à son bureau, rongé par l’ennui ou la fatigue, il suffit de faire une petite balade dans les couloirs.
Il est difficile de décrire l’énergie qui s’empare de nos pavillons. C’est celle d’une soirée de première, mais à la puissance 10, déployée sur plusieurs mois. Le travail, l’exploration, les débats et l’émotion sont sans fin, une débauche d’énergie de la part d’artistes jeunes, ambitieux, rigoureux et passionnés qui prennent à bras-le-corps la profession qu’ils vont bientôt embrasser. Cinq ans après le début de mon aventure à l’ÉNT, je sais que ce bruit varie par toutes les nuances. Il y a le bourdonnement nerveux des nouveaux étudiants, qui ne savent trop comment s’intégrer à cette expression spontanée de créativité. Il y a l’énergie scandée des étudiants de deuxième année, excités d’avoir la chance de mener le bal et de mettre leurs acquis à l’épreuve. Et, enfin, il y a l’énergie tranquille des finissants, une assurance calme, visible dans leur maintien, une manifestation presque physique de leur volonté de décrocher leur diplôme et d’entamer leur carrière. Bien sûr, comme c’est une école de créateurs de théâtre, la clameur est retentissante et le flot des émotions, incessant.
Les étudiants de 1re année en Interprétation, avec Frédéric Dubois, Directeur artistique de la section française et Directeur du programme d'Interprétation, et Éric Cabana, Assistant du Directeur artistique de la section française
À vrai dire, cette énergie est celle que je veux ressentir chaque fois que je vais au théâtre, un sentiment d’infinies possibilités, d’acceptation, des instants de vive émotion, de passion. Je rêve du jour où nos lieux de diffusion seront aussi habités et décomplexés que les pavillons de l’ÉNT. Et je me demande souvent ce qui se perd en cours de route... Pourquoi nos théâtres dégagent-ils cette impression de convenance? Pourquoi tant de sérieux? Pourquoi tant de pudeur? Pourquoi insiste-t-on à présenter le théâtre de manière si homogène, à des heures et pendant un nombre de jours fixes? Pourquoi insiste-t-on à limiter l’expression artistique à la scène et ne pas la laisser s’immiscer dans tous les coins et recoins de nos salles? Pourquoi imposons-nous tant de distance entre l’artiste et le spectateur, entre le processus et le produit final? Si le théâtre doit demeurer une forme d’expression vitale, s’il doit être l’outil dont se servent nos communautés pour affronter les problèmes les plus complexes, on doit trouver le moyen de catalyser l’énergie des jeunes artistes afin qu’elle emplisse nos lieux de diffusion.
Je ne partage ces interrogations que pour rappeler que j’ai le grand privilège et le plaisir de travailler dans un lieu où s’exprime déjà l’avenir du théâtre. Engagé, complexe, plein d’énergie, ce théâtre repose entre les mains d’un groupe d’artistes talentueux qui, par leur seule présence, font vibrer les murs avec son, couleur et émotion.
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