Soir de répétition au Monument-National.
On monte le texte de finissante de Liliane Gougeon Moisan, avec Michel-Maxime Legault.
« L’art de vivre ».
Un texte qui, sans vous vendre de punch, parle du vide.
Vide des discours,
vide existentiel,
vide émotionnel.
En d’autres termes, du manque de sensible.
Un texte cadeau pour des actrices* en fin de formation.

Mais ce soir, malgré l’enthousiasme que m’inspire le projet, j’avoue que j’ai la tête qui vagabonde.  

Je pense à l’artiste et à son devoir d’engagement social.
À son devoir de prendre parole.  

Je pense à Gérald Godin,
je pense à Pauline Julien,
je pense à Marc Favreau,
à Gaston Miron,
à Véronique Côté,
à Catherine Dorion.

Ces dernières semaines, Catherine Dorion m’inspire beaucoup.

Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2004, elle mène en ce moment, sous l’égide de Québec Solidaire, une campagne historique dans Taschereau. Elle est en train de redonner un nouveau souffle au mouvement indépendantiste, à la politique et à la ville de Québec au grand complet, et ce souffle, tels les grands vents qui nous auraient tellement fait du bien cet été, se fait sentir jusqu’ici, à Montréal.

Et c’est là que j’en suis dans mon vagabondage, quand Michel-Maxime annonce la pause.

Et puis on descend tous.
Et puis on se retrouve dans la rue, sur Saint-Laurent.
Et puis on passe devant la vitrine du café du Monument.
Et puis c’est le tournage de Deux hommes en or.
Comme à pas mal tous les jeudis.
Et puis qui, qui est-ce que j’aperçois dans la vitrine, en pleine entrevue avec Patrick Lagacé ?
Catherine Dorion.
Alors je suis parcouru d’un frisson.
Parce qu’il y a de ces hasards qui sont beaucoup trop beaux pour en être vraiment.
De ces hasards qui font que la raison nous échappe et qu’on a l’impression d’accéder au grandiose.

L’entrevue se termine, je vais la voir.

J’avoue être un peu intimidé. Comme on peut l’être avec tous ceux qu’on admire. Je me présente. On se met à jaser comme on n’aurait pas pu le faire si ça avait été planifié. Elle me parle de Pauline Julien (tiens, tiens) qui a déjà fait de la prison parce qu’elle dérangeait trop. Elle me dit qu’on s’étonne souvent que les plus riches ne se servent pas plus de leur argent pour le bien de la collectivité, mais que nous, artistes, on a peut-être pas les poches pleines, mais notre cœur, lui, déborde de partout, nous devons nous en servir. Elle me dit que nous avons la responsabilité d’utiliser notre sensibilité, notre amour, pour le bien de la collectivité. Que nous ne devons pas en être avares.

Elle me parle de la difficulté qu’on peut avoir, en tant qu’artiste, à parler de politique.
« On veut que les gens nous aiment, alors on n’ose pas trop parler de nos positions. »
C’est un fâcheux calcul, il me semble.
Catherine le prouve dans Taschereau.
Elle bouleverse tout sur son passage.
Elle est un ouragan d’espoir.
Parce qu’elle libère en nous tout ce qui est sensible et trop longtemps resté enfoui.

Et alors tout,
tout se transforme en évidence.

Nous, les artistes, devons investir la place publique.
Nous devons sortir des théâtres et des musées.
Comme l’ont fait des générations d’artistes avant nous.
Nous sommes puissants parce que nous sommes sensibles.
Nous avons l’empathie.
Nous avons la tendresse.
Nous avons la délicatesse d’un regard bienveillant sur l’humain.
Nous pouvons donc avoir une influence immense.

Après avoir rencontré Catherine, je suis tombé sur une chronique de Denise Bombardier.  Dans sa chronique, elle invitait les québécois et québécoises à se méfier de Manon Massé. En gros, elle déclarait que la co-porte parole de Québec Solidaire, sous ses airs sympathiques, cachait assurément sa vraie nature manipulatrice.

En sommes-nous arrivés à ce point ou la moindre marque de tendresse ou de bonté nous effraie ?

C’est vrai que la politique, ces dernières années, nous a habitués à ça.  

 

Nous sommes en pénurie de tendresse, de bonté.    
Une caresse nous effraie.

De là, donc, la responsabilité immense de l’artiste.

De là la nécessité d’avoir plus de Catherine Dorion.

Parce qu’avec le privilège des tribunes doit venir la responsabilité de bouleversement.

Alors oui,
comédiens, comédiennes,
auteurs, autrices,
scénographes,
metteurs en scène, metteures en scène,
chanteurs, chanteuses,
poètes, poétesses,
Nous devons être grandioses,
lumineux,
amoureux.

Nous devons nous engager.

Et ne plus avoir peur de partager avec le monde ce qui nous bouscule, ce qui a la force de nous faire vibrer.

Peut être ainsi constaterons-nous que nous ne sommes pas seuls.



*Le féminin l'emporte, 3 personnes sur 4 sont des comédiennes sur ce spectacle.