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HEATHER REDFERN: récipiendaire du prix Gascon-Thomas Innovation 2023
ENTREVUE avec Heather Redfern, par Charlotte Baker (PDTA, 2023)
La vidéo est en anglais
BIOGRAPHIE
Titulaire d’un certificat de l’École nationale de théâtre du Canada, Heather Redfern (Scénographie, 1984) est directrice générale du Vancouver East Cultural Centre (« The Cultch »), où elle s’occupe de l’organisation d’un programme de présentations en direct et en format numérique ainsi que d’un vaste programme d’engagement communautaire.
Dans les spectacles présentés au Cultch, la scène devient un outil pour remettre en question les présomptions, établir un dialogue et susciter des changements. Ils célèbrent la richesse et la diversité des communautés qui peuplent notre pays et notre monde.
Heather a mis sa carrière au service d’artistes et de publics diversifiés. Elle s’intéresse tout particulièrement à la création de nouvelles formes d’art et à la mise sur pied d’équipes créatives qui n’hésitent pas à sortir de leur zone de confort. Celle qui travaille à l’échelle locale, nationale et internationale croit au pouvoir transformateur des arts.
Mme Redfern a auparavant été directrice générale de la Greater Vancouver Alliance for Arts and
Culture et productrice artistique pour le Catalyst Theatre d’Edmonton, en plus d’avoir été scénographe à son compte. Elle a reçu le prix Business and the Arts de la ville d’Edmonton pour l’excellence dans la gestion des arts, et le prix Mallory Gilbert pour son leadership durable,
inspiré et créatif dans le domaine du théâtre canadien.
En juin 2019, dans le cadre des prix Jessie, Heather Redfern et The Cultch ont reçu le Prix de
représentation et d’inclusion Vancouver Now pour « les efforts déployés pour monter et
programmer délibérément des spectacles qui représentent sur scène la ville où nous vivons,
tout en s’employant sans relâche à favoriser l’inclusion et la visibilité d’un éventail de
communautés minoritaires et marginalisées. »
DISCOURS
Voici le discours de Heather Redfern lors de la cérémonie de remise des prix Gascon-Thomas, le 17 mars 2023.
Bonjour à tous,
Je m’appelle Heather Redfern et je suis une sœur, une mère et une grand-mère d’origines suédoise et anglaise. Je réside sur les terres autochtones non cédées des Nations des xwməϴkwəýəm (Musqueam), Skwxwú7mesh (Squamish) et Səl̓ílwətaʔ/Selilwitulh (Tsleil-Waututh). Je suis reconnaissante de me trouver aujourd’hui sur les terres autochtones non cédées de la Nation des Kanien’kehá:ka (Mohawks).
Je souhaite d’abord vous remercier pour cet honneur. J’ai eu la chance de fréquenter cette école remarquable au début des années 1980 et à l’époque, les installations n’étaient pas aussi distinguées qu’aujourd’hui. Dans ce bâtiment, l’endroit où se trouve maintenant le bar était un bric-à-brac de meubles douteux provenant de l’entrepôt de décor, de cendriers débordants et de salopettes souillées de peinture. Ça sentait le polystyrène fondu, l’acétone et la peinture au latex un peu pourrie. Cet atelier achalandé, puant et en désordre, je l’adorais. Beaucoup.
J’ai suivi le programme de scénographie sous la supervision très attentive de François Barbeau, un homme qui exprimait ses pensées rudement, particulièrement en anglais. Il était perfectionniste, et le moindre éloge de sa part marquait votre année. Je savourais mes conversations avec lui, car il nous poussait toujours à devenir de meilleurs artistes. Lui et bon nombre des autres artistes-enseignants de l’École m’ont changée à jamais. Ces personnes ont nourri le feu de ma passion pour le théâtre, m’ont fourni les outils dont j’avais besoin pour transformer cette passion en une réalité tangible, et m’ont aidée à comprendre comment utiliser ces outils pour changer le monde, une performance à la fois.
Puis, il y avait la vie à Montréal. L’occasion de vivre dans l’une des meilleures villes du monde, compte parmi les plus grands cadeaux que cette école nous a offerts. Ça m’a quand même pris du temps à m’en rendre compte. Je me sentais si perdue lors de mon premier automne ici, que j’avais demandé à François de me donner plus de travail. Il m’avait dit de me promener dans les rues, d’observer les gens, d’écouter le bruit de la ville, d’aller au théâtre, dans des cafés et ailleurs, car même si je ne parlais pas la langue, j’apprendrais quelque chose. Depuis ce temps, c’est exactement ce que je fais quand je voyage. Je marche des kilomètres, j’observe, j’écoute, je visite des galeries d’art et je vais voir des spectacles. Et j’apprends toujours quelque chose.
Il s’en est passé des choses depuis, mais j’ai toujours pu compter sur ma famille du théâtre. La nature de notre travail nous oblige à faire preuve de vulnérabilité et d’ouverture les uns envers les autres. Cette création collective nous unit comme une famille et ces liens font partie de nous.
Votre famille du théâtre s’agrandira tout au long de votre carrière, mais c’est ici, dans cette salle, qu’elle naît. À bas la solitude, vous appartenez à un continuum : vous avez le soutien de vos pairs, de vos aînés, de vos mentors et de tous.tes ceux et celles qui ont foulé ces planches avant vous. Ces personnes vous donneront le courage de prendre des risques dans votre travail et, lorsque vous vous aventurerez dans l’inconnu, elles seront là pour être témoins de ce courage, que vous connaissiez une réussite ou subissiez un échec.
Ce sera vous qui inventerez l’avenir du théâtre dans ce pays. Nous n’avons qu’à marcher dans la rue, en observant et en écoutant, pour constater que l’inclusion est au cœur de cet avenir.
Depuis 16 ans, je suis la directrice générale du théâtre The Cultch à Vancouver. Ce théâtre occupe une place unique dans le Canada anglophone. Plutôt que d’un lieu de production, il s’agit d’un lieu de présentation multidisciplinaire. Une partie de notre travail consiste à soutenir les artistes et leurs œuvres en offrant du financement, du soutien technique et du marketing pour leurs spectacles. Mais ce n’est pas ce que nous faisons de plus important pour eux. Nous assurons le lien entre les artistes et le public et entre les communautés et les artistes. C’est notre passion, et celle-ci nous pousse à essayer de comprendre ce dont les membres des différentes communautés ont besoin pour se sentir les bienvenus et en sécurité lorsqu’ils viennent assister à un spectacle. Cette idée peut sembler simple, mais sa réalisation est complexe. C’est un défi que chacun.e d’entre vous devra relever à chaque étape de sa carrière, peu importe où elle vous mènera.
Vous devrez marcher, observer, écouter et apprendre. Si vous le faites, les artistes et le public vous diront ce dont ils ont besoin pour se réunir, et c’est à ce moment-là que le plus difficile du travail commencera.
Il n’existe aucun manuel pour vous expliquer comment y arriver. Le travail est le produit d’une volonté d’écouter et d’un désir de faire mieux. Au Cultch, nous nous efforçons de décoloniser un espace de création où des artistes autochtones et non autochtones collaborent. Un espace destiné à un public divers. Pour y arriver, tout le monde doit participer : le personnel de billetterie, les bénévoles, les techniciens, les artistes, les responsables du marketing, etc. En vue de la réussite de l’entreprise, chaque personne doit commencer par reconnaître l’existence de ses biais et les examiner. Il faut avoir confiance en l’honnêteté des autres et en leur capacité à respecter les limites d’autrui. Tout ce qui survient au cours du processus doit être authentique. Parce que bon nombre de nos idées préconçues, ces connaissances acquises à l’école sur la façon de faire du théâtre et d’attirer le public, sont néfastes.
Si nous voulons accueillir une diversité de visions du monde ainsi que différentes façons de créer et de diffuser l’art, nous devons nous préparer à remettre en question tout ce que nous connaissons sur la façon d’exercer notre métier. Cette tentative de décolonisation en vue d’échanges artistiques respectueux et mutuellement bénéfiques est un projet permanent pour nous. C’est difficile. Il y a des frictions et de l’inconfort. Nous faisons des erreurs. La collaboration est complexe et prend du temps, mais elle en vaut la peine.
Pour discuter pleinement des éléments d’une véritable inclusivité, l’un de mes sujets préférés est celui des toilettes. Alors que les personnes transgenres et au genre fluide se font de plus en plus fières et visibles dans une plus grande partie de notre société, les toilettes sont devenues un champ de bataille.
Notre priorité au Cultch était de nous assurer que les personnes transgenres et au genre fluide de notre personnel et de notre public se sentaient en sécurité. Nous avons donc commencé par remplacer nos affiches de toilette genrées par des affiches de toilettes neutres. Ça n’a pas fonctionné. Les femmes ne se sentaient pas toujours en sécurité lorsqu’elles se retrouvaient devant un homme cisgenre à leur sortie d’une cabine. J’ai aussi perdu le compte du nombre de femmes cisgenres qui sortaient immédiatement des toilettes à la vue des urinoirs. Malgré nos bonnes intentions, nous n’avions pas atteint notre objectif d’offrir à tout le monde un environnement accueillant et sécuritaire.
Nous avons donc ajouté sur chaque porte de toilettes genrées une affiche indiquant explicitement que les personnes transgenres et au genre fluide étaient les bienvenues. Ça n’a pas été assez. Le problème de l’inconfort des personnes cisgenres était réglé, mais ça ne démontrait pas une véritable inclusivité. Nous avons alors laissé les groupes concernés nous faire part de ce dont ils avaient besoin pour se sentir en sécurité, et la réponse a été unanime : de vraies toilettes neutres dotées de cabines individuelles dont la porte va du plancher au plafond, et des lavabos situés dans un espace public. Quelle solution simple! Mais il a fallu beaucoup de planification et d’argent. Ça a pris beaucoup de temps. Nous avons rencontré des obstacles inattendus dont je vous épargnerai les détails, mais je repense aux problèmes de la ventilation, des systèmes d’extinction des incendies et de l’obtention des permis auprès de la ville. Ça peut sembler beaucoup pour quelque chose d’aussi simple que des toilettes, mais ça ne l’est pas, car des milliers de personnes les utiliseront, maintenant qu’elles existent. Ces toilettes neutres permettront à ces personnes de se sentir en sécurité la première fois, puis la deuxième, la troisième, la quatrième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elles n’y pensent même plus.
C’est ce que l’équipe a accompli! Nous avons pu mettre fin à la guerre des toilettes en permettant à tout le monde de se sentir en sécurité. Ça peut sembler simple, mais ça ne l’est pas. Ça ne l’a certainement pas été pour nous. Nous avons dû mettre de côté nos présomptions, tisser des liens et porter attention aux besoins des personnes que nous tentions de servir en plus de surmonter des obstacles systémiques, certains dont nous connaissions l’existence et d’autres qui étaient invisibles jusqu’à ce que nous nous y heurtions.
Au fil de votre carrière, en tant que génération d’artistes qui veulent améliorer les choses, ce sera la voie à suivre, qu’il soit question de décoloniser votre pratique, d’établir des espaces inclusifs ou de repenser entièrement votre processus créatif.
Je suis certaine que vous avez déjà entendu des millions de fois à quel point il est difficile de gagner sa vie et de se plaire dans ce domaine. Ce ne sont pas des mensonges, mais la raison principale de cette difficulté, c’est la force de notre passion. Nous connaissons le pouvoir de ce domaine : nous pouvons changer la vie de quelqu’un sans jamais en avoir conscience.
Vous avez passé votre temps ici à acquérir un ensemble de compétences propre à un rôle particulier au théâtre. Ma formation était en scénographie, mais j’ai pris la décision d’abandonner ma carrière de scénographe et de peintre scénique pour accepter un poste dans le milieu des arts qui consistait à soutenir le travail d’autres artistes.
Ce n’était pas un choix difficile. J’ai trouvé que la meilleure façon pour moi d’exprimer mon amour pour ce travail était de fournir des outils – et de l’espoir – aux artistes à la recherche d’un public.
Chacun de vous a un superpouvoir. Ensemble, vous racontez des histoires dans lesquelles le public peut s’identifier et se remémorer leurs propres souvenirs. Ce travail vous amène à faire preuve d’empathie tout en renforçant le côté rassembleur du théâtre. C’est pourquoi ce que nous faisons existera toujours et sera toujours pertinent. Toutes les personnes qui vous enseignent comprennent le rôle important que vous jouerez dans l’avenir du spectacle. En tant qu’artisan.e.s du théâtre, nous vivons sur un fil et l’enseignement que nous recevons nous donne les outils dont nous avons besoin pour réussir. Cette école produit des artistes, mais aussi des leaders créatifs.
Vous avez un travail important à faire. Vous déciderez de l’avenir de notre profession. À partir des leçons que je suis en train d’apprendre, vous déciderez si nous pouvons mieux travailler : d’une manière plus empathique, plus inclusive et plus durable.
Prenez des risques, soyez honnête, soyez à l’écoute de vous-même, accordez-vous du répit et prenez soin les uns des autres avec amour. Vous ne perdrez jamais de vue les personnes présentes aujourd’hui, vos camarades. Vous ne serez peut-être pas à proximité physiquement, mais vous surveillerez leurs accomplissements et plusieurs d’entre vous collaboreront à la création de spectacles grandioses.
Et certain.e.s d’entre vous prendront la même décision que moi : vous recueillerez les fonds, gérerez un organisme et surtout, rendrez possible ces projets artistiques. Pour ce faire, vous utiliserez les outils que vous avez acquis à l’ÉNT. Votre formation vous a inculqué des principes d’ouverture et de collaboration. Je vous mets au défi de créer l’avenir du théâtre avec de la passion, de l’honnêteté, de la confiance, du risque, un amour féroce et un travail acharné.
Pour finir, rendez-moi un service. Nous ne traitons pas très bien nos aîné.e.s dans cette profession, alors allez à leur rencontre et écoutez leurs histoires. Vous ne serez peut-être pas d’accord avec leurs idées, mais ces personnes ont des histoires à raconter dont vous tirerez de précieuses leçons. Merci d’avoir écouté les miennes.
GUY SIMARD: récipiendaire du prix Gascon-Thomas Carrière 2023
ENTREVUE avec Guy Simard, par Béatrice Germain (Création et Production, 2023)
BIOGRAPHIE

Le parcours artistique et professionnel de Guy Simard (Création et production, 1975) foisonne d’expériences et de projets au théâtre, en danse, à l’opéra, au cirque, en architecture, en scénographie et en enseignement. Impliqué dans plusieurs centaines de productions à titre de concepteur d’éclairage, directeur technique, régisseur, directeur de production ou consultant technique, il a acquis une solide notoriété au Québec, au Canada et un peu partout dans le monde.
À Montréal, ses collaborations pour plusieurs compagnies théâtrales lui ont permis de récolter trois Masques et une dizaine de nominations de l’Académie québécoise du théâtre. Il a également reçu, en 1996, le Prix de la Fondation Jean-Paul Mousseau pour le caractère innovateur, la constante recherche et la grande qualité de l’ensemble de son travail artistique.
Pour l’opéra, à l’international tant aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Australie, une trentaine d’institutions de prestige apprécient depuis de nombreuses années ses compétences et sa vision artistique.
Parallèlement à son travail artistique et technique, il a toujours fait une place à l’enseignement et à la formation, offrant notamment des cours et des ateliers à l’École nationale de théâtre du Canada, à l’Institut Supérieur des Techniques du Spectacle d’Avignon.
Guy Simard est également un des membres fondateurs de Trizart Consultations, une entreprise qui offre des conseils en design et en consultation pour l’aménagement et la réhabilitation de lieux de spectacles ou publics (Espace Go, Monument National et Capitole de Québec, La licorne).
DISCOURS
Voici le discours de Guy Simard lors de la cérémonie de remise des prix Gascon-Thomas, le 17 mars 2023.
Je remercie Le Conseil des gouverneurs d’avoir eu l’idée de créer ce prix, ainsi que les membres du personnel et du jury qui ont décidé de m’accorder cet honneur.
Je suis très touché et honoré de faire partie de ce groupe sélect de gens passionnés de théâtre.
Pour avoir travaillé avec plusieurs d’entre eux dont, André Brassard, Jean Louis Millette, Paul Buissonneau, Janine Sutto et Jean Pierre Ronfard, je peux vous dire que tous étaient des gens généreux. Ils n’ont jamais ménagé leurs efforts ni compté les heures de travail pour faire avancer et amener à terme un spectacle. Le travail se faisait dans le plus grand respect. Ils ont tous, à leur façon, tracé la voie et j’ai énormément appris auprès d’eux.
La Grande Aventure
Le 4 septembre 1973 à 9 h30, je mettais les pieds pour la première fois sur cette scène pour entreprendre La semaine de pratique au théâtre.
Nous étions un groupe de 8 étudiants à débuter notre première année à la Section technique française. C’était le début de cette aventure qui a duré 2 ans.
À cette époque, José Descombes, suisse d’origine, dirigeait la section et exigeait de nous discipline, rigueur et une ponctualité exemplaire. Normal pour un Suisse!
Techniquement, nous étions encadrés par Freedy Grimwood, un Britannique qui assumait la direction technique du Monument National avec qui j’ai eu de passionnantes discussions dans son bureau autour d’un verre de vin. D’ailleurs, il m’a transmis sa passion et l’amour du vin!
Je ne peux passer sous silence le travail de Stanly Wegging, chef de l’atelier de décors, Léo Poulin, notre fantôme du Monument National. Il en était le concierge et habitait tout près de la scène où se trouve maintenant la cafeteria. Il était toujours prêt à nous aider de jour comme de nuit.
Michael Eagan, professeur de dessin technique qui parlait français avec son accent d’Anglo du sud du Nouveau Brunswick, un amoureux de Patsy Galant, la reine du disco de l’époque, dont il dessinait les décors de ses spectacles.
Jean-Claude Germain, pour, bien sûr, l’histoire du théâtre québécois. Il pouvait parler pendant des heures, que dis-je des jours, sans s’arrêter.
Jacques Languirand nous entretenait sur les nouvelles technologies de l’époque qui avaient été développées pour l’Exposition universelle de 1967, c’est-à-dire la projection diapo et les films 16mm, l’audiovisuel et les mouvements de décors mécanisés.
Nous étions en contact très étroit avec la section Interprétation qui était sous la direction artistique d’André Pagé qui venait du monde de la télé, émission pour enfants. Son équipe était composée d’artistes jeunes et dynamiques dont Michele Rossignol, Roger Blay à la mise en scène et à l’interprétation, le poète Michel Garneau, et le musicien André Angelini.
Et pour finir le grand concepteur de costumes, François Barbeau, responsable de la scénographie.
Bref nous étions entre bonne mains.
Les cours d’éclairage nous étaient donnés sous forme de conférence et d’atelier par Francis Reid, un éclairagiste britannique, enseignant à Londres, auteur de plusieurs livres sur l’éclairage et responsable des éclairages du prestigieux Festival d’Opéra de Glyndebourne.
Avec lui, j’ai appris comment doit se comporter un éclairagiste c’est-à-dire avec discrétion, philosophie et humour. Il m’a aussi initié à la fréquentation des Pub londoniens pour ses Fish and chips et ses bières.
Et le 9 mai 1975, sur cette même scène, accompagné de Charles Maher, Louise Lemieux et Pierrette Amiot, nous recevions notre diplôme.
Les années d’enseignement
Au départ, comme formateur, j’ai donné essentiellement des cours techniques.
Il n’y avait pas, à cette époque, de concepteur lumière. La plupart du temps, le chef électricien, sous la gouverne du metteur en scène ou du scénographe, ajustait les lumières pour obtenir les effets demandés par ces derniers.
Vers la fin des années 1970, je fus appelé pour donner une formation aux étudiants de production qui devaient utiliser la console d’éclairage pour le grand plateau du Monument National. A l’époque, le système d’éclairage assez rudimentaire était composé d’une quarantaine de gradateurs et d’une console à 2 préparations.
Au début des années 80, on me demande de créer un cours d’électricité adapté la scène.
Un cours très technique que l’on peut résumer ainsi ‘’ De la centrale hydroélectrique à la prise de courant chez vous’’ en passant par les principaux branchements et circuits utilisés au théâtre.
À la même période, en tant que directeur technique à la Compagnie Jean Duceppe, j’avais remarqué que les plans des éclairagistes différaient considérablement. Les symboles utilisés et l’organisation visuelle des plans variaient d’un éclairagiste à l’autre ce qui causait souvent la confusion chez les chefs électriciens qui devaient déchiffrer les divers codes. Cela créait plusieurs erreurs d’interprétation et causait souvent des retards lors des semaines de montage. Travaillant aussi à l’extérieur du Québec, j’ai appris qu’il existait des standards Nord-Américain que tous les éclairagistes américains utilisaient pour le dessin des plans d’éclairage.
Tous leurs plans étaient dessinés conformément à ces standards soit ceux du USITT. J’ai donc proposé à l’École de mettre sur pied un cours appelé Standards graphiques afin que les plans d’éclairage correspondent à ces normes.
Au milieu des années 80, je suis devenu directeur technique et éclairagiste résident de l’Opéra de Montréal. Ce fut l’occasion de recevoir et d’assister de grands éclairagistes américains.
Ceux-ci utilisaient un nouveau logiciel de base de données créé par l’éclairagiste John McKernon qui travaillait régulièrement sur Broadway. Ce logiciel appelé LtWright permettait de compiler et de générer des informations détaillées pour tous les projecteurs dessinés sur les plans, de tenir un inventaire des projecteurs circuits et numéros de contrôle utilisés pour le spectacle. Il permettait aussi d’évaluer rapidement les divers besoins en couleur de gélatines, en appareils d’éclairage et en circuits nécessaires pour réaliser le plan et d’en faire le suivi tout au long du montage. Une vraie révolution. Je me suis mis à utiliser ces logiciels et j’ai ensuite proposé à l’École une formation qui est devenue le cours de LtWright.
Puis, vers le début des années 90, afin d’aider les étudiants de 3e année à réaliser des conceptions et de dessiner des plans d’éclairage pour les créations ayant lieu sur des grands plateaux, on m’a demandé de concevoir une formation visant la conception de plans d’éclairage destinés à ces lieux.
Je savais qu’il existait des centaines de livres sur l’éclairage de scène, la majorité étant soit américain ou britannique.
Ces livres ont tous la même structure et ils développent tous, plus ou moins, toujours les mêmes thèmes. Soit l’historique des moyens utilisés pour éclairer les spectacles de l’Antiquité à l’Ère moderne des années 1980, en passant par la chandelle, la lampe à l’huile, le gaz et enfin l’électricité. Ensuite des chapitres sur les lampes et l’optique afin d’en comprendre la puissance et les lentilles à utiliser, comment positionner les appareils et quels systèmes et quelles règles de bases sont pertinentes pour obtenir un éclairage constant, égal et sans trous. Même chose pour ce qui a trait aux couleurs afin d’obtenir les atmosphères recherchés.
Mais tout cela énoncé de façon mathématique et technique.
Très peu de ces livres parlent de la qualité de la lumière, des atmosphères crées et de la dramaturgie de la lumière. La majorité de ces livres donnent des recettes pour réussir son éclairage et plus la réputation de l’auteur est grande, plus le livre aura bonne réputation.
On peut faire un parallèle avec les livres de recettes de cuisine. Le succès du livre tient à la réputation du chef qui le signe.
Pour structurer ce cours, je me suis demandé : que dois-je transmettre et comment dois-je le faire. Intuitivement, je voulais transmettre ce que j’avais appris et qui n’était pas dans les livres. Comment concevoir et utiliser la lumière pour en faire un élément de contribution unique, pertinent et important au spectacle.
Pendant ma réflexion, j’ai reçu une demande d’un metteur en scène. Il me proposait de former un groupe avec ses collègues pour que je leur donne un cours sur les techniques d’éclairage.
Leur volonté était d’apprendre les règles de base en éclairage, de connaître les différents types de projecteurs, les couleurs de gélatine à utiliser ou mettre les projecteurs bref … comment dialoguer et communiquer avec les éclairagistes en langage technique.
J’ai trouvé cette demande particulière : apprendre la technique pour obtenir un résultat artistique. Je fus rapidement convaincu que ce n’était pas la bonne voie à suivre.
C’est à ce moment que l’idée de créer un atelier de création-lumière destiné aux étudiants, ces potentiels futurs éclairagistes, de la section Production est apparue. Un atelier spécifique de 3 jours qui, au début de l’atelier, résumait rapidement ce qui était enseigné dans les livres.
Pour structurer mes cours, je me suis demandé, encore une fois : que dois-je transmettre et comment dois-je le faire. Intuitivement, j’ai voulu transmettre ce qui n’était pas écrit dans les livres, mais transmettre les bases de la création lumière.
Cet atelier était suivi d’un autre atelier d’une semaine entièrement consacré à la création afin de donner aux étudiants les bases avec lesquelles ils pourront exprimer leurs idées et visions artistiques et être en mesure d’échanger avec les autres créateurs et les metteurs en scène. Les participants à cet atelier était guidé par un concepteur d’éclairage, un metteur en scène chargé de susciter des échanges et de transmettre aux acteurs la vision artistique du projet.
Je suis parti du principe ‘’Une Image vaut milles mots’’ afin de créer, avec les autres collaborateurs, un début de discussion à partir des représentations visuelles qui illustrent une vision de l’espace, l’ambiance recherchée, l’état d’esprit des personnages et ainsi amorcer les discussions sur un plan strictement artistique.
En résumé, la plus grande partie du cours était basée sur les visions artistiques des étudiants et sur comment contourner les règles, par des essais et erreurs, pour réaliser tout le potentiel qu’offre la lumière.
Je suis très reconnaissant, qu’au cours des décennies, les différentes directions ont su trouver les budgets, les locaux et les périodes-horaires pour permettre à toutes ces formations d’exister.
Un gros merci à Pierre Phaneuf, Michel Gosselin, Louise Roussel et Catherine La Frenière,
Continuité dans la formation
Je suis très heureux qu’actuellement la formation en éclairage soit assurée par une formidable équipe qui est composée de :
Martin Labrecque et Alexia Burger, Laboratoire conceptuel d’éclairage,
Nicolas Descoteaux, Atelier d’éclairage – Photométrie et colorimétrie,
Saturnin Goyer Initiation à la console d’éclairage ION-ETC,
Chantal Labonté, Initiation aux techniques d’éclairage,
Zacharie Filteau, Initiation à la console d’éclairage Grand Ma,
Anne-Catherine Simard-Deraspe, Standards graphiques et Électricité Logiciel Vectorworks
Yvette Nolan : récipiendaire du prix Gascon-Thomas 2021 pour l’ensemble d’une carrière

Autrice, metteuse en scène et dramaturge, Yvette Nolan est une artiste d’origine algonquine de la Saskatchewan. Depuis sa première pièce de théâtre « BLADE », elle a écrit des dizaines de pièces, courtes et longues, dont « Annie Mae’s Movement », « The Unplugging » et a co-écrit « Gabriel Dumont’s Wild West Show ». De 2003 à 2011, Yvette Nolan a été la directrice artistique du Native Earth Performing Arts, le théâtre professionnel autochtone le plus vieux au Canada. Présentement, elle est artiste associée au Signal Theatre et la dramaturge du Sum Theatre.
C’est pour son incroyable contribution au théâtre canadien qu’Yvette Nolan reçoit le prix Gascon-Thomas 2021 pour l’ensemble d’une carrière. Ses œuvres saisissantes et profondes contribuent à faire valoir les enjeux vécus par les peuples autochtones au Canada ainsi que leurs revendications, et à dénoncer les injustices sociales encore vécues par ceux-ci.
Voici le discours d’Yvette Nolan lors de la cérémonie de remise des prix Gascon-Thomas, le 19 mars 2021
C’est émouvant de recevoir un prix décerné pour l’œuvre d’une vie. Une vie serait-elle déjà passée?
Je suppose qu’il est naturel lorsque vous recevez une telle récompense de faire un retour en arrière pour regarder ce que vous avez fait, quels sont les choix assumés et les actes posés qui vous ont amené à vivre ce moment précis de votre histoire.
Il y a aussi des moments passés qui restent gravés dans votre mémoire, des moments particuliers qui viennent vous rappeler qui vous êtes et comment les autres vous voient. Quand j’avais quatorze ou quinze ans, ma nouvelle amie du secondaire, Margie Langer, m’a regardée au-dessus de sa tasse de café et m’a dit « tu ne fais que parler, hein? ». À ma première année à l’université, mon professeur d’anglais, Keith Fulton, a noté dans la marge de mon travail sur Riddley Walker : « vous avez ce que Yeats a appelé dans un poème ‘une fascination pour ce qui est difficile’ ». Un autre jour, alors dans ma vingtaine, un homme que j’aimais profondément m’a regardée au-dessus de sa tasse de café et m’a dit : « pourquoi es-tu toujours aussi furieuse? » J’ai repensé si souvent à ces commentaires qu’ils m’ont marquée à jamais, comme autant de tatouages. Et, à vrai dire, iIs ont tous servi ma vie consacrée au théâtre.
Il m’a fallu du temps pour comprendre comment exploiter cette merveilleuse forme d’expression qu’est le théâtre pour raconter les histoires qui me tenaient à cœur. J’avais compris toute la force et le grand pouvoir de transformation et d’émancipation de la mise en scène d’histoires, mais j’étais déjà à la mivingtaine quand j’ai vu la première pièce écrite par un auteur autochtone et interprétée par des acteurs autochtones. Je vivais à Winnipeg où les Autochtones sont nombreux. Il y a eu une sorte de dissonance cognitive qui m’a frappée : les peuples autochtones étaient à la fois visibles et invisibles. Fille d’une survivante des pensionnats et d’un immigrant irlandais, je vivais moimême dans deux mondes, celui du visible et celui de l’invisible. J’ai appris à aimer Shakespeare et Arthur Miller et Tom Stoppard et Sam Shepard.
Et alors mon alma mater – le Centre de théâtre du Manitoba – a présenté The Rez Sisters produite par Native Earth. C’est là que tout a changé. Sept femmes autochtones jouaient sur scène, il y avait Rez, il y avait une sorte d’illusionniste qui se transformait et jouait l’agente de transformation au service des autres. Ce fut comme une séance de chiropractie de l’esprit; tout ce que je savais s’est alors tout d’un coup mis en place.

J’ai écrit ma première pièce, BLADE, peu de temps après. Une jeune femme de notre communauté avait été tuée, et les médias en avaient fait une prostituée. Je voulais m’inscrire en faux contre la puissance des médias, je voulais que les Winnipégois et les Winnipégoises réfléchissent à leur propre utilisation aveugle de préjugés. Je voulais défier les puissants. Je ne voulais pas vraiment, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. « Tu ne fais que parler, hein? » comme m’avait dit mon amie.
Le théâtre c’est une affaire de parole, de visibilité. Après mon épiphanie avec Rez Sisters, j’ai vu comment le théâtre pouvait servir à raconter tout un monde d’histoires qui n’avaient pas encore été entendues et vues. Pour y arriver, j’ai dû parcourir tout ce territoire. Je suis allée à Toronto, à Native Earth. J’y ai trouvé une communauté d’artistes essayant tous d’atteindre la même chose. Et Native Earth était à la fois source de frustration et d’exaltation parce que nous n’étions pas encore entendus ni vus, et ce que nous avions à dire n’était pas encore reçu pour ce qu’il était, c’est-à-dire du théâtre autochtone; il était reçu pour ce qu’il n’était pas, c’estàdire du théâtre blanc de l’Ouest. Et voilà « la fascination pour ce qui est difficile ».
« Chaque chose compte, ce que vous faites, ce que vous dites, comment vous appréhendez le monde. »
Peu m’importait. J’y croyais toujours. Je croyais au théâtre, avec son pouvoir de transformation. J’ai continué de voyager, de travailler avec des artistes de partout qui désiraient plus que tout raconter des histoires qu’ils chérissaient, du Yukon à la Saskatchewan, d’Orono, dans le Maine, à Aotearoa. Je n’ai pas cessé de me battre pour occuper l’espace et prendre la parole. Comme les Whos de Whoville qui crient à Horton : « Nous sommes ici! Nous sommes ici! Nous sommes ici! Nous sommes ici! »
Et alors est arrivée cette année, l’annus horribilis de la pandémie.
Et soudainement le monde a changé. Celles et ceux qui se sentaient bâillonnés et maintenus à l’écart se sont soudainement fait entendre et voir. Les puissances de ce monde ne peuvent ignorer le changement et tous les cris que j’ai poussés toutes ces années – « pourquoi estu toujours aussi furieuse? » – ont porté. Du moins, je l’espère et j’espère qu’enfin le changement s’imposera et que le monde nous verra et nous entendra.

Y-a-t-il des choses que je pourrais dire de ce point où je suis arrivée à celles et à ceux qui se trouvent au point où tout est encore à faire? Des choses que j’ai apprises?
Chaque chose compte, ce que vous faites, ce que vous dites, comment vous appréhendez le monde. Vous aurez parfois le sentiment de cracher contre le vent et de vous battre contre des moulins à vent, de vous convaincre de la futilité des choses, peu importe la métaphore que vous inventerez, mais il viendra un jour où, en vous retournant, vous comprendrez comment chaque chose vous a amené à ce moment de votre vie.
Soyez bon, soyez généreux, soyez humble. La vie est longue, la carrière aussi, et vous continuerez de rencontrer les mêmes personnes encore et encore, arrivées à différentes étapes de leurs parcours, tout comme vous. Parfois, vous serez en mesure de tendre la main, parfois quelqu’un vous tendra la sienne. Le théâtre, ce n’est rien d’autre qu’une suite de relations.
N’ayez pas peur d’échouer. Vous échouerez, et si vous savez accueillir l’échec, vous échouerez encore et, comme disait Beckett, vous échouerez mieux. C’est de cette manière que l’on apprend. Il y a une inscription sur mon bureau en Anishinaabemowin qui dit : « Niminwendam gikinoo’amaagoyaan », ce qui veut dire « Apprendre me remplit de bonheur ». Et malgré ce prix qui m’est décerné pour l’ensemble de mon œuvre, ou peut-être à cause de lui, croyez-moi, j’ai encore beaucoup à apprendre.
Ce prix Gascon-Thomas ne pouvait pas mieux arriver dans ma vie. De recevoir une telle reconnaissance pour le travail auquel j’ai consacré ma vie, ici devant vous, qui entrez dans le monde pour raconter vos propres histoires et occuper l’espace pour donner vie aux histoires des autres, me remplit de joie, d’humilité et d’espoir.
Meegwetch, meegwetch, meegwetch, meegwetch.
Gilles Renaud : récipiendaire du prix Gascon-Thomas 2019 pour l’ensemble d’une carrière

Gil Desautels, Gilles Renaud, Valérie et Gideon Arthurs au Gascon-Thomas
Merci aux gouverneurs et à la direction de l’École pour cet immense honneur.
Je suis associé à l’École nationale depuis 55 ans. Tout d’abord comme élève, où j’ai vécu ce que je considère comme les plus belles années de ma vie. En 1964, l’École était située sur la rue Saint-Laurent, au coin de Saint-Paul. Je me souviens du premier matin : j’étais assis dans l’autobus Saint-Laurent (le métro est arrivé un an plus tard). On devait se présenter à notre premier cours avec l’oeuvre complète de Molière dans la collection Garnier. Assise en face de moi, une jeune fille tenait à la main les mêmes deux livres que moi. Je lui ai fait un sourire, lui ai montré mes livres et on est partis à rire. C’était Odette Gagnon. Elle allait être ma meilleure amie pendant des années.

Gilles Renaud (Interprétation, 1967) et Odette Gagnon (Interprétation, 1967) dans Le mariage de M. Mississippi de Bernard Parmegiani, décembre 1966
Les trois années qui ont suivi ont été pour moi d’une importance capitale. J’y ai découvert le jeune artiste qui venait à peine de se réveiller en moi. J’étais passionné par tout ce que j’apprenais. Je n’en avais jamais assez! Me croirez-vous si je vous disais que je n’ai jamais manqué une seule journée de classe pendant ces trois années? Pendant mon passage à l’École, j’ai rencontré quelques-unes des personnes qui allaient influencer ma vie artistique pour toujours : Jean-Pierre Ronfard, Marcel Sabourin, Paul Hébert, André Pagé et Powys Thomas.
« On a tous un jour rêvé de faire partie du milieu artistique. Nous, à l’École, nous avons eu la très grande chance d’y parvenir »
Pendant notre passage à l’École, on fréquente cinq cohortes : les deux cohortes avant nous, la nôtre et les deux qui nous suivent. C’est notre génération artistique. Toute notre vie artistique, nous rencontrerons ces gens-là. Nous travaillerons avec ces gens-là. Ils sont sans aucun doute la plus importante influence – avec certains professeurs – que nous rencontrerons dans notre vie. Moi, j’ai été influencé à l’École par Sophie Clément, Nicole LeBlanc, Michel Catudal, Robert Charlebois, Mouffe, Odette Gagnon, Réal Ouellette, Jean-Yves Laforce, Jean-Roch Achard, Jean-Claude L’Espérance, Véronique Le Flaguais, Yves Sauvageau, Michael Eagan, Guy Neveu, Claude Deslandes, Paule Baillargeon, Gilbert Sicotte et Pierre Curzi. Je continue encore aujourd’hui, 55 ans plus tard, à travailler avec plusieurs de ces acteurs talentueux. Nous, les gens de théâtre, nous sommes des privilégiés. Je ne connais pas une seule personne qui n’ait pas souhaité, enfant, devenir un jour un acteur ou une actrice, écrire du théâtre, faire des mises en scène ou créer des décors ou des éclairages. On a tous un jour rêvé de faire partie du milieu artistique. Nous, à l’École, nous avons eu la très grande chance d’y parvenir.

Gilles Renaud en tant que directeur des programmes d’interprétation et d’écriture dramatique
Il faut donc redonner. Après quelques années, je suis donc revenu à l’École pour enseigner. Et là, j’ai eu la piqûre. J’ai beaucoup enseigné. Longtemps. J’ai même dirigé le programme français d’interprétation et d’écriture. Et j’ai revécu la même passion que j’avais connue 25 ans plus tôt grâce encore aux personnes qui m’entouraient. Je crois que c’est ma plus grande qualité en tant qu’artiste et pédagogue : je sais bien m’entourer. Au tout début de ma carrière, j’ai eu l’immense chance de rencontrer deux très grands artistes avec lesquels j’ai beaucoup travaillé : Michel Tremblay et André Brassard. De Hosanna (enfin, Cuirette) en 1972 jusqu’à Bonjour, là, bonjour en 2018, j’ai eu le privilège de créer environ une dizaine de pièces de Michel Tremblay. J’ai même eu le grand honneur d’interpréter à plusieurs reprises le personnage de Jean-Marc, l’alter ego de Michel. Il n’y a pas de plus grande joie pour un acteur québécois issu du Plateau-Mont-Royal que de jouer Tremblay. Avec André Brassard, pendant 30 ans, j’ai été un de ses acteurs principaux. En plus des pièces de Tremblay, j’ai eu le très grand plaisir de jouer Shakespeare, Arthur Miller, Dario Fo, Racine, Brecht, Jean Genet, Tchekhov et tant d’autres. Travailler avec André Brassard, c’est travailler avec le metteur en scène le plus intelligent et le plus brillant qu’il m’a été donné de rencontrer.
Bientôt, les sirènes de la télévision vont chanter pour vous, chers étudiants. Ce sera très tentant et très payant. Allez-y. Faites de la télé, du doublage, de la variété, de l’humour, du cirque : tout ce qui se présente à vous. Mais, de grâce, n’abandonnez pas le théâtre. Je vous souhaite, je vous implore de poursuivre votre carrière principalement au théâtre. C’est la Source. C’est là qu’on y trouve toute l’énergie créatrice nécessaire pour continuer d’apprendre et de se renouveler. Allez au théâtre, parlez aux metteurs en scène, montez des shows avec vos amis, créez votre propre troupe… débrouillez-vous. MAIS FAITES DU THÉÂTRE. Car, comme disait Jean-Pierre Ronfard, que je considère comme mon mentor : « J’ai fait plein de choses dans ma vie pour vivre, mais j’ai fait du théâtre pour ne pas mourir. »
Merci.
Weyni Mengesha: récipiendaire du Gascon-Thomas 2019

Yousef Kadoura (Acting 2017) remettant le prix Gascon-Thomas pour l’Innovation à Weyni Mengesha, directrice artistique de la Soulpepper Theatre Company sur la scène de la pièce A Streetcar Named Desire
Je suis tellement ravie de recevoir ce prix pour l’Innovation. C’est un réel honneur d’être reconnue de cette manière parmi une liste si incroyable de candidats. J’ai toujours voulu partager des histoires avec un public. J’ai choisi d’y dédier ma vie parce que je crois que les histoires ont le potentiel de changer des vies. Elles peuvent nous faire ressentir qu’on appartient à quelque chose, elles peuvent nous lier, nous apprendre à aimer, à pardonner et à nous efforcer de nous améliorer. Le théâtre sert à préserver un de nos rituels humains les plus anciens. Pour moi, c’est un travail sacré. Il nous donne le pouvoir d’articuler la manière dont nous comprenons notre passé et, plus important, d’exprimer comment nous envisageons notre avenir. Il peut aussi servir de pont. En étant l’enfant unique de parents éthiopiens immigrés dans ce pays, j’étais moi-même une sorte de pont. Les histoires que mes parents me racontaient sur notre pays étaient très différentes du portrait réducteur fait dans les médias.
Je suis devenue traductrice de ma réalité hybride en tant que femme éthiopienne et canadienne. Le théâtre est ma façon d’amplifier ce travail et de le multiplier en plusieurs voix différentes. Je trouve essentiel d’avoir plusieurs perspectives au sein d’une communauté saine afin de tisser des liens dans les villes entre les cultures, les races, les genres et les classes sociales. Je crois que c’est un travail très important, surtout aujourd’hui alors qu’on a tendance à se sentir divisé sur tant d’enjeux clefs. Je ressens qu’en tant qu’artiste nous avons un pouvoir privilégié : celui d’assurer que plusieurs voix soient entendues, et de détacher notre regard des écrans pour nous faire face dans une salle obscure.
« Quand je suis partie auditionner pour l’école, j’ai constaté qu’il était quasiment impossible de trouver un monologue qui parlait précisément de ma réalité : celle d’une femme afro-canadienne »
J’ai grandi à Scarborough au sein d’une famille modeste. On n’a jamais fait du théâtre dans ma famille. En fait, on n’y assistait même pas. J’ai été attirée par ce travail parce que je voulais responsabiliser mes amis et les gens de ma communauté qui ne se voyaient pas dépeints positivement par les médias. Alors j’ai écrit des histoires et je les ai jouées à mon école secondaire. Heureusement, un enseignant m’a suggéré de poursuivre des études de jeu à l’université. Quand je suis partie auditionner pour l’école, j’ai constaté qu’il était quasiment impossible de trouver un monologue qui parlait précisément de ma réalité : celle d’une femme afro-canadienne. Durant ma deuxième année, je me suis inscrite au programme de mise en scène afin d’apprendre comment contribuer au développement de toutes ces voix que je ne trouvais pas dans les textes de théâtre et les manuels. La méthode qu’on apprenait pour développer nos compétences venait toujours d’une perspective très eurocentriste.
Donc, lors de ma troisième année je suis allé voir le président de la Faculté de théâtre dans son bureau et je lui ai dit : « Monsieur, pour ma dernière année, j’aimerais faire une étude indépendante. J’aimerais suivre un cours sur le théâtre afro-canadien, et j’aimerais parcourir le pays pour interviewer des gens à propos de notre histoire théâtrale et de nos traditions. » Il a réfléchi et il a fini par me dire : « D’accord, bonne idée. » J’ai rencontré des dramaturges et des acteurs de partout au pays et j’ai appris que nous avions une tradition de théâtre canadien noir qui remonte aussi loin que le XIXe siècle dans des villes comme Vancouver et Halifax. Ça m’a permis de rencontrer des mentors que j’ai encore aujourd’hui, de décrocher mon premier emploi et de réaliser ma première production professionnelle. Aujourd’hui, j’ai la chance de voir mes rêves se réaliser lorsque des gens viennent auditionner devant moi avec des pièces que j’ai aidé à créer.
« Écrivez ce que vous connaissez. Écrivez en détail ce qui vous rend vivant; personne d’autre ne saura l’exprimer mieux que vous »
Vous qui étudiez présentement à l’ÉNT, je vous remercie de consacrer toutes ces années à votre formation. J’ai hâte de travailler avec vous comme artiste et comme directrice artistique et vous accueillir en tant qu’artistes courageux et audacieux de la prochaine génération. Continuez de foncer et de vous battre pour garder l’empathie, la curiosité et l’émerveillement en vie. Vous rencontrerez des barrières et parfois, vous aurez l’impression que le monde est trop étroit pour contenir tout ce que vous êtes. N’ayez pas peur d’ouvrir de toutes nouvelles routes. Nous avons besoin que vous nous donniez de nouveaux horizons où vous pourrez vous développer et vous épanouir. Plus votre voix unique résonnera, plus nous aurons de l’air pour respirer. Le public sera toujours davantage séduit par votre histoire unique que par une vérité universelle. Écrivez ce que vous connaissez. Écrivez en détail ce qui vous rend vivant; personne d’autre ne saura l’exprimer mieux que vous.
Un grand merci à l’École nationale de théâtre et au jury du prix Gascon-Thomas pour cet incroyable honneur. J’aimerais tellement pouvoir être là avec vous ce soir.
Je vous souhaite une excellente soirée !