Jessica Poirier-Chang - Artiste-enseignante en Scénographie
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J’ai toujours su que je finirais dans les arts, n’étant pas particulièrement douée ailleurs à l’école. Dès l’enfance, je dessinais, inventais des histoires et montais des pièces de théâtre avec mes sœurs. Sous la table de couture de ma mère, où je jouais avec mes Barbies, je m’imprégnais inconsciemment de son univers de couturière et de nos nombreuses visites à Fabricville. À huit ans, elle m’a emmenée voir Le Fantôme de l’Opéra, et j’en suis restée émerveillée. Les costumes, les décors, la musique : tout me fascinait, éveillant ma sensibilité pour la fantaisie et les destins tragiques.
Ignorant que cet univers pouvait s’étudier, j’ai d’abord suivi un parcours traditionnel en beaux-arts au cégep, pensant devenir peintre ou artiste d’installation. Mais ne me sentant pas tout à fait à ma place, j’ai rejoint un club de théâtre qui m’a été une expérience enrichissante. Vers la fin de mes études, une pièce marquante m’a bouleversée. L’énergie du public m’a révélé que je voulais faire partie de cet univers. Cette découverte m’a menée à la scénographie à l’École nationale de théâtre (ENT), où j’ai enfin trouvé ma place. Avant d’y entrer, j’ai renforcé mes bases en beaux-arts à Florence, en Italie. Le dessin et la peinture restent pour moi une source de méditation et de renouveau.
Près de vingt ans après mon diplôme, ma passion pour la conception de costumes demeure intacte. Ce métier repose sur la connexion pour moi : aider les interprètes à incarner leurs personnages. Il s’agit de raconter une histoire, d’habiller le corps et l’âme. J’aime surtout collaborer avec les artisans—couturiers, chapeliers, teinturiers, cordonniers, accessoiristes. Leur savoir-faire me fascine et mérite d’être honoré et préservé. Ce que les mains peuvent créer continue de m’émerveiller et donne tout son sens à ma vocation.
En tant qu’âme créative, j’ai fondé The Bag Lady Atelier, une boutique dédiée à des créations uniques réalisées à partir de tissus récupérés, en hommage à ma mère. Pendant le confinement, j’ai également lancé Musée Vivant, un projet théâtral explorant la représentation des femmes dans l’art classique, soutenu par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Depuis plusieurs années, j’encadre des étudiants à l’ENT, transmettant avec simplicité et accessibilité le savoir acquis au fil de ma carrière. J’ai également eu l’honneur d’être Résidente Hooper de Design en 2020-2021.
Ma tante m’a un jour appelée «colporteuse de beauté», un compliment cher à mon cœur. Pour moi, la beauté est la puissance de transformation: réparer l’usé, sublimer le brisé, et faire de la création un acte de résilience et d’optimisme. À mes yeux, être artiste est une quête de solutions, une «correction constante des erreurs», comme l’a dit John Berger. C’est pourquoi ce métier me correspond : la croissance, l’amélioration et la transformation sont au cœur de mes valeurs.
Enfin, mon engagement bénévole pour des causes qui me sont chères complète ma pratique artistique en m’offrant un équilibre essentiel. Tout comme l’art, cet engagement est une manière de transformer, de réparer et d’apporter du sens, renforçant ainsi ma conviction que chaque action, qu’elle soit créative ou altruiste, a le pouvoir d’embellir le monde et de le rendre plus humain.