À l'occasion de l'assemblée générale annuelle 2019, quelques étudiants ont été invités à s'exprimer devant les membres du conseil d'administration et les gouverneurs de l'École. Voici le discours de Todd Houseman (Acting 3, Edmonton, AB) dans lequel il nous fait part des difficultés auxquelles font face les artistes autochtones ainsi que de son espoir pour un théâtre Canadien plus inclusif.


Todd Houseman (Acting 3, Edmonton, AB) donnant son discours lors de l'assemblée générale annuelle 2019.

Je pense qu’il va falloir beaucoup de temps, des années sûrement, avant que je prenne conscience de l’impact que ma formation à l’ÉNT a eu sur moi. J’ai l’impression que n’importe quelle réflexion que je mènerais en ce moment serait encore trop teintée par les braises encore chaudes, voire radioactives, de trois années d’études à l’École qui ne laissent même pas les samedis de congé. Trois années que je crois avoir menées de front et qui furent ponctuées tant par des moments d’introspections dont la profondeur me faisait frissonner, que par de longs moments perdus à fixer les froids plafonds en béton.

Au moment précis où j’écris ces lignes, je peux affirmer que mes années à l’ÉNT ont été une puissante expérience d’apprentissage et qu’elles ont entamé en moi une démarche réflexive qui m’a conduit à une évolution artistique, émotionnelle et physique. En affinant toujours un peu plus ma voix propre, j’ai pu en apprendre plus sur moi-même et sur mon rapport à l’espace. Tout ça s’est fait au milieu des rires et des pleurs partagés avec 13 des plus beaux et étranges amis que j’aurai jamais, qui m’ont tantôt supporté, tantôt mené à de nouveaux sommets.

Todd Houseman (Acting 3) et Mark Breton (Interprétation 3, Montréal, QC) lors du 24 heures de création dans la pièce Tutti Frutti

En rétrospective, mon expérience à l’ÉNT est intimement liée à ce qui m’avait motivé à auditionner dans une grande institution d’enseignement : prendre les mesures nécessaires pour me débarrasser de la sensation gênante d’être le jeune comédien métis cri de service. C’est un sentiment que j’ai ressenti personnellement dans le milieu professionnel durant mon chaotique début de vingtaine, et après de nombreux échanges que j’ai eus avec d’autres autochtones, je peux affirmer que je ne suis pas le seul à me sentir comme un alibi pour les bons sentiments des autres.

Je me suis dit qu’en auditionnant et en étant accepté à l’École nationale de théâtre, j’arriverais à augmenter la visibilité des professionnels autochtones du milieu théâtral et à favoriser le leadership autochtone tout en faisant en sorte que notre inclusion soit plus que purement symbolique. Pour parvenir à mes fins, je peux maintenant compter sur les compétences que j’ai acquises, sur celles que j’ai affinées, et sur les nouveaux canaux de communication créés ici à l’École tant avec les étudiants qu’avec les professeurs. Je poursuis ce but en sachant qu’il me place souvent dans une position bien particulière qui nécessite beaucoup de travail émotionnel. L’École met des ressources extraordinaires à la disposition des étudiants pour assurer leur bien-être, et j’en ai profité, mais aucune ressource ne pourrait atténuer l’accablement qui vient de se savoir issu d’un peuple colonisé.

"J’ai hâte de voir des leaders autochtones trouver leur place dans cette école et je suis certain que le nouveau professeur d’origine autochtone rendra ce programme plus accueillant"

Tout au long de mes études, j’ai toujours été le seul autochtone de mes classes, sauf peut-être quelques fois où nous étions deux ou trois. Un jeune esprit en train de se former en vient à se convaincre qu’il ne peut pas s’intégrer pleinement à la majorité allochtone. Cette conception est un pur produit de la colonisation qui a conduit les Autochtones à se croire condamnés à rester en marge du grand récit historique canadien, et condamnés à subir les conséquences des efforts que ce pays a entrepris pour détruire nos cultures. Tout ça vit en moi, et c’est très difficile d’en guérir. Je sais que l’École est au courant de mes préoccupations, et je sais qu’elle est sensible à la manière dont se sentent les Autochtones, mais la route est encore longue avant que la vaste majorité des Autochtones et moi-même nous nous sentions en sécurité dans les écoles canadiennes.

Todd Houseman (Acting 3) dans la pièce Indra's Web, une création collective des finissants de la section anglaise en Acting,
Production Design and Technical Arts, et Set and Costume Design, présenté à l'automne 2019

Mon expérience à l’ÉNT a été facilitée par la présence des autres élèves autochtones qui comprennent l’effet colonisateur de notre passage à l’École. Ensemble, on peut s’offrir un support qui ne pourrait pas venir des autres. Les étudiants de cette école sont formidables, ils viennent de tous les horizons sociaux et politiques, et presque tous aspirent à enrichir la réflexion sur la diversité au théâtre. Mon parcours scolaire en général aurait toutefois grandement été facilité par une plus grande présence de professeurs et d’employés autochtones qui auraient été des exemples de leadership, et ça vaut pour l’ÉNT. J’ai hâte de voir des leaders autochtones trouver leur place dans cette école et je suis certain que le nouveau professeur d’origine autochtone rendra ce programme plus accueillant.

Wahsonti:io Kirby (Acting 3) et Todd Houseman (Acting 3) dans Burning Vision de Marie Clements,

présenté au Monument-National en décembre 2019

Je l’ai dit plus tôt, ça va me prendre longtemps avant de bien prendre conscience de ce que mes années à l’ÉNT m’ont apporté. Certains exercices faits dans nos cours de mouvements n’ont pris sens que plusieurs mois plus tard, en marchant en forêt; on peut pratiquer pour le cours de voix en fredonnant une chanson sur le chemin de la maison; les textes de Tchékhov prennent tout leur sens quand on se retrouve soi-même à vivre une situation qu’il aurait pu écrire et qu’on ressent la joie de voir le monde d’une manière à la fois belle et complexe. Je m’attends à ce que tous mes acquis continuent de m’apparaître pleinement une fois que j’aurai terminé ma formation. J’espère que ce que j’ai développé me donnera le pouvoir de rendre le monde meilleur en créant d’une manière qui aidera à faire disparaître le sentiment d’asphyxie qu’on ne peut s’empêcher de ressentir en tant qu’Autochtone, et j’espère raconter des histoires beaucoup plus grandes que moi, beaucoup plus grandes que je ne l’aurais jamais imaginé.

Todd Houseman (Acting 3, Edmonton, AB) est un élève de quatrième année à l'École nationale de théâtre du Canada dans le programme de Acting


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